Ancien de la Belgolaise et de la BCDC, Thierry Taeymans avait le profil rêvé pour prendre la tête de la plus vieille banque privée congolaise qui coule ses 110 ans d’existence. Ce rêve s’est éteint avec le choix de George Arthur Forrest porté sur un autre Belge.
Mais quand une porte se ferme, une autre s’ouvre.
Assis dans son minuscule bureau du 1er étage du siège de Rawbank sur front du 30 juin, la plus belle avenue du pays, qu’il enfume, grillant cigarettes sur cigarettes, M. Taeymans sait qu’il ne trouvera pas le sommeil aussi longtemps qu’il n’a pas goûté son plaisir : défier la banque coloniale dont il rencontre deux fois par jour à l’aller et au retour le fier immeuble géant en plaque de béton qui se dispute la symbolique de la capitale avec celui, à un jet de pierres, de la plus grande entreprise minière du Congo, Gécamines.
Mission ardue dans ce pays, le seul au monde à avoir le dollar comme monnaie nationale et sous surveillance permanente du Trésor américain.
Sur un business model qui a marché dans le Maniema et dans l’ex-province Orientale, les Rawji ciblent les secteurs informels, le Congolais ordinaire, les communautés migrées indo-pakistanaises, libanaises, syriennes, etc.
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Contrairement à la BCDC qui cible les entreprises mammouth publiques et privées et fait montre de lourdeurs dans ses opérations, à Rawbank, dépôts et retraits se font à la vitesse d’éclair.
La banque fait de l’innovation son cheval de bataille, donne une posture de modernité. Un aspect apprécié des jeunes créateurs de start-up qui accourent à ses guichets et des membres de la classe moyenne montante.
L’annonce des mirifiques projets chinois précédés par des entreprises de construction des infrastructures offre une opportunité pour une banque à l’image asiatique.
Pour les attirer, Rawbank ouvre des guichets à l’étranger dans les Emirats arabes, à Dubaï, à Bruxelles, capitale de l’ex-puissance coloniale congolaise, à proximité du quartier congolais de Matonge dans la commune populaire d’Ixelles.
En 2007, les résultats de la BCDC mettent en rage l’ex-représentant de Fortis à la Belgolaise.
Résultat net positif : 8,3 millions de $. Pour la toute première fois de son histoire, l’ex-BCZ est au fond de la mine. A la présentation de l’exercice annuel, le Belge râle : « Il y a un problème de gestion. Il n’est pas simple d’exercer notre métier. Aujourd’hui, il y a 15 banques commerciales en activité au Congo. En 2012, on en comptait 22 et probablement demain, une autre banque va quitter le giron pour se muer en institution de microfinance ».
Cuypers trouve néanmoins quelque réconfort : « Au cours de l’année, nous avons donc été prudents et nous avons eu raison car le renchérissement des mesures prudentielles risquait de perturber notre exercice. Les mesures prévues ont été reportées car toutes les banques n’auraient pu répondre immédiatement à ces nouvelles exigences quand bien même sont-elles justifiées ».
Puis : « Au final, l’année 2017 aura été plus que satisfaisante au regard des incertitudes évoquées. Celles-ci ne doivent évidemment pas se prolonger indéfiniment au risque de finir par reporter le retour à un cycle de croissance économique dans lequel la banque s’inscrira et, par conséquent, renforcera la solidité de ses fondamentaux et donc la confiance du marché ».
La descente aux Enfers de la Belgolaise en mémoire et comme on n’est jamais trop prudent, Cuyvers désormais président de l’Association Congolaise des Banques, se rend en juin 2017 à Washington. Avec d’autres directeurs de banques dont M. Taeymans, il a un entretien au département d’État et veut plaider sa cause…
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Le banquier détaille le but de ce déplacement : « Montrer aux Américains tout ce qui a trait à la gouvernance des établissements de crédit au Congo et aux politiques dites de conformité ; expliquer ce qu’est la banque au Congo, ce qu’elle fait et comment elle travaille. Une occasion privilégiée de rassurer ce grand partenaire mais également de confirmer qu’en matière de réglementation et de conformité, nous n’avons pas eu d’autre choix, sous peine de sanctions directes, que de nous conformer à l’ensemble des règles édictées par toutes les instances internationales de contrôle ».
Mais en 2018, le bilan de Rawbank a ravi à l’ex-filiale de feue Belgolaise la première place de la banque privée.
Avec de 1,7 milliard de $, 1.800 agents et 400.000 clients, Rawbank devient la référence de la banque.
L’année qui suit, les cinq frères Rawji sont cités par le très sérieux magazine américain Forbes Afrique, parmi les premières fortunes d’Afrique subsaharienne francophone. Avec 830 millions de $ de fonds propres, ils pointent à la première place des plus grosses fortunes du Congo et mettent le cap sur le milliard de $.
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Ils ont rétrogradé l’empire George Forrest évalué à 800 millions de $. Avec un horizon sombre, la BCDC passe au second plan des priorités de la famille belgo-néo-zélandaise.
En même temps, Rawbank accumule trophées et prix.
Dans le magazine de renom Global Finance, elle apparaît pour la deuxième année consécutive au classement des banques les plus stables de plus de 100 pays du monde. Elle reçoit le Trophée The Banker 2016 de la meilleure banque au Congo décerné par le prestigieux britannique The Financial Times.
S’il faut s’interroger sur la pertinence de ces distinctions, les financements des institutions financières internationales n’attendent pas. Ils viennent en appui aux différents programmes avec au passage des prélèvements substantiels au titre des produits bancaires.
Sur les poteaux du centre des affaires dans la Capitale et dans les principales villes du pays, des flyers au vent défilent en langue anglaise assumée – «Rawbank is My Bank».
Au quartier huppé du Mont-Fleuri où il réside, Taeymans débouche le Champagne, rejoint par certains membres de la famille. Ils sont en passe d’effacer la BCDC des radars de la banque…
T. MATOTU.