Le président fait le ménage dans son entourage, notamment dans la hiérarchie militaire. Objectif : élargir sa marge de manœuvre. Mais cette stratégie n’est pas sans risque.
Apetits pas, le président Tshisekedi essaie d’élargir sa marge de manœuvre face à son puissant allié, le Front commun pour le Congo, la plate-forme soutenant l’ex président Kabila. Majoritaire à l’Assemblée nationale, pouvant compter sur le Premier ministre Ilunga Ilunkamba et surtout sur d’importants relais parmi les militaires, sans oublier les moyens financiers de l’ancien pouvoir, le FCC semblait contrôler le jeu politique face au fils d’Etienne Tshisekedi qui avait été décrit, un peu vite, comme un néophyte.
Aujourd’hui, à l’issue de plusieurs passes d’armes, plus personne ne se risquerait à spéculer sur le rapport de forces, qui, au coup par coup, semble se modifier en faveur de l’actuel chef de l’Etat. Ce n’est pas sans raison que des milliers de militants de l’ancienne majorité présidentielle ont défilé ce jeudi à Kinshasa, exigeant le respect des engagements qui ont fondé la coalition entre l’ancien président et Félix Tshisekedi.
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Le procès intenté à Vital Kamerhe, puissant directeur de cabinet du chef de l’Etat, mis en cause pour faits de corruption, avait marqué le début de l’offensive. Retransmis en direct, il avait démontré que nul n’était plus intouchable. La mise à l’écart de Kamerhe, qui entend cependant interjeter appel, avait aussi rompu le fil invisible qui, supposait-on, le reliait encore à Kabila.
Mainmise sur la justice
D’autres offensives ont suivi, d’abord au niveau de la magistrature, renouvelée en profondeur. Plusieurs magistrats actifs dans le procès Kamerhe ont été promus, dont un nouveau premier président de la Cour de Cassation. En outre, Me Ghislain Kikangala, un avocat venu de Belgique, a été nommé coordonnateur de l’agence de prévention et de lutte contre la corruption, et doté des moyens lui permettant de réaliser l’indispensable coup de balai dans un pays où l’évasion de capitaux est évaluée à 10 milliards de dollars par an.
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Quant à la Cour constitutionnelle, celle-là même qui avait proclamé la victoire de Félix Tshisekedi, elle a été décapitée par le soudain exil en Belgique de son président Benoît Lwamba. Ce dernier, président du Conseil supérieur de la magistrature, était dépositaire du secret des tractations ayant mené à la « transition pacifique » entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila. Invoquant des raisons de santé, il a préféré se rendre à Bruxelles où il a joyeusement célébré son anniversaire en famille. A noter que ce juriste expérimenté, considéré comme l’un des instruments du système Kabila, était arrivé à Bruxelles à bord de l’avion privé du président Tshisekedi qui avait fait une visite éclair dans sa « deuxième patrie », peut-être afin d’y effectuer un contrôle médical.
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La mainmise sur le secteur judiciaire s’est opérée en dépit du ministre de la Justice, Tunda ya Kasende, un puissant membre des FCC. Le sort de ce dernier, qui avait été brièvement arrêté, avait provoqué une levée de boucliers dans le camp Kabila. Remis en liberté, M. Tunda Ya Kasende fut cependant contraint à la démission, écarté d’un secteur ultrasensible. André Alain Atundu, l’un des porte-parole de la famille politique de l’ex-président, a décrit avec lucidité « la volonté de faire main basse sur la justice dans le but de décapiter et de terroriser le FCC en brandissant l’épée de la justice sur ses principaux leaders. » Dénonçant « un affrontement meurtrier à l’issue incertaine », il a aussi rappelé d’autres urgences existentielles comme la chute du pouvoir d’achat et la dégringolade du franc congolais (qui s échange désormais à 2000 FC pour un dollar).
« Nous ne sommes pas des agneaux »
Après cette mise en garde, l’offensive s’est poursuivie au sein des Forces armées, qui ont été remaniées en profondeur, mais subtilement : c’est ainsi que le général Gabriel Amisi, dit Tango Four, sous sanctions internationales, a été promu au rang de général d’armée et placé à la tête de l’inspection générale des armées, rejoint par un autre officier également proche de Joseph Kabila, Muhindi Akili Mudos, régulièrement mis en cause pour sa conduite de la guerre dans l’Ituri.
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Le général Fall Sikabwe, également sous sanctions a été placé à la tête de l’armée de Terre. L’éviction la plus dangereuse est celle du général John Numbi, remplacé par Amisi et désormais sans affectation. Très puissant au Katanga, où il contrôle aussi des milices, accusé de la mort du militant Floribert Chebeya, Numbi avait cependant fait allégeance au nouveau pouvoir et facilité la transition. Cet homme, qui a des relais à Kigali comme au sein des nationalistes katangais se laissera-t-il repousser dans le coin du ring, sans réagir ? Il est le seul des officiers mutés à avoir exprimé ses sentiments : « Nous ne sommes pas des agneaux », ce qui lui a valu d’être mis à la disposition de l’auditorat militaire.
Les valses au sommet n’empêchent pas non plus la montée des périls sur le terrain : les combats se poursuivent en Ituri, des Peuls armés venus de Centrafrique descendent dans le Bas-Uélé et surtout, 210 villageois ont été massacrés à Kipupu, dans de territoire de Fizi au Sud-Kivu, victimes de milices d’origine rwandaise ou burundaise.
Par Colette Braeckman Le 23/07/2020