- Madame, la commissaire générale en charge de la Culture et des Arts, merci de nous recevoir à votre office pour évoquer avec vous ce qu’a été votre père, grand artiste de notre pays ayant acquis une dimension internationale. Vous êtes sa fille, comment vous pouvez le présenter ?
Il s’est révélé quelqu’un de génial dans ce qu’il a fait durant une grande partie de son existence. C’était un homme qui savait être disponible pour nous ses enfants, sa famille, malgré son métier qui l’amenait à être entouré du monde et parcourant le monde. J’ai mis du temps pour le regarder réellement comme artiste. Portée plutôt vers l’extérieur où on avait nos choix en cette matiere, c’était plutôt, il y a bien longtemps, durant les années 70, les Claude François, Frédéric François, James Brown qui emportaient notre adhésion. Pour nous, c’était papa et rien d’autre, pas du tout touchés par sa musique. C’est à l’âge de 25 ans que je commençais à percevoir sa dimension d’artiste. L’expression « Nul n’est prophète chez lui » avait alors pris tout son sens. C’était comme un déclic en ayant pris un de ses albums pour analyser plus la composition musicale, l’agencement qu’il faisait entre les mélodies et la rythmique, pour arriver à déceler un tel niveau de créativité. Et je me suis exclamée en me disant que c’est un travail d’orfèvre. Et, de fil en aiguille, dans les années 2000, c’est là où je découvre ce côté de génie qu’il avait. Alors comment naissait une chanson chez lui ? Dans l’élaboration de ses œuvres, il composait en se faisant accompagner au préalable d’un guitariste ou d’un pianiste auquel il exigeait une virtuosité pour s’élever à un certain niveau de perfection voulu par lui. Sinon, s’il n’arrivait par à la hauteur de ses désirs, il faisait tout recommencer ! Même avec ses enfants, il se montrait comme ça : un mot mal prononcé, il te le fait recommencer jusqu’à totale satisfaction. Il a été constamment comme ça et cela a constitué sa force. Un perfectionniste en somme avec comme objectif l’excellence vers lequel il s’orientait. Pour avoir développé la connaissance du solfège, il avait une oreille très exercée et possédait une veritable boulimie pour son travail. Se réveillant souvent à 3h du matin pour s’adonner à fond et moi le suivant également aux aurores pour échanger avec lui jusque tard. Il était au sommet de son art…
- Comme votre père qui a été aussi vice-gouverneur et ministre provincial de la ville se Kinshasa, vous voilà également dans son sillage (en charge de la Culture), cela semble avoir été tracé pour les Tabu Ley, en somme une histoire de famille ?
Je reconnais qu’il a beaucoup communiqué avec moi notamment sur la gestion rationnelle de la cité, il a évolué dans les coulisses du pouvoir. C’est naturellement par là qu’il m’a transmis cette fibre qui a dû formater mon être. Lui-même étant devenu vice-gouverneur de la ville, puis ministre provincial. Déjà des années auparavant, il ressassait son envie du mieux-être collectif, de voir les gens s’épanouir pas autrement que par le travail. Il ne voulait de la carrière musicale pour ses enfants, arguant que c’était une vraie jungle et qu’il fallait étudier davantage. Déjà, il fut fonctionnaire avant de devenir un mordu de la musique. Ses chansons étaient engagées comme « Congo avenir », « Congo nouveau »… De huit enfants issus de ma mère, personne ne lui a emboîté le pas en privilégiant, comme il le souhaitait vivement, les études. Une autre histoire de famille, ce côté artistique (en moi) qui rejaillit là à travers mes enfants dont deux de trois sont tombés dans la marmite. Ma fille dans le RnB, mon fils dans le hip hop. Pour tout dire, je suis aujourd’hui là où lui m’avait précédée.
- Pensez-vous que, au regard de ce qu’a été votre père pour la RDC, la nation lui a rendu les hommages à la hauteur de sa stature ?
On a fait pour lui ce qu’on a pu et Kinshasa a eu un jour férié pour lui rendre les hommages à la hauteur de sa stature, la dimension planétaire qu’il a acquise. Dire que le pays lui a rendu ce qu’il lui a apporté, pas assez ! Je le dirai plus globalement qu’on ne récompense pas, comme il se doit, les mérites de nos artistes, selon leur créativité, voire leur spécificité. On devrait arriver à les classifier dans leurs catégories respectives pour mieux les distinguer les uns des autres, même s’ils sont engagés dans un même tempo. Tabu Ley avait son style, même si après d’autres faisaient ou sont venus faire aussi la rumba…
- Est-ce que la famille tire-t-elle bénéficie des retombées de sa carrière ?
Honnêtement non ! S’il faut vraiment que les héritiers des artistes bénéficient des retombées de ce que leurs géniteurs ont produit, il faudrait repenser les méthodes. Parce que ce sont quand même des œuvres de l’esprit sorties du cerveau de quelqu’un, il faut bien qu’il y ait un gain en retour. Obligatoirement mettre en place une organisation pour redistribuer les droits d’auteurs aux ayants droit. Il faut une profonde réflexion pour mieux cerner cette lancinante question qui a du mal à trouver les vraies réponses. Ailleurs, sous d’autres latitudes, ça fonctionne mieux, c’est codifié, selon les normes. Cela appelle notre responsabilité au niveau des autorités, impulser une réflexion sérieuse, la musique en particulier, l’art en général, peut bien constituer chez nous des moteurs de développement d’une société.
- Il avait été annoncé après son décès, voilà 7 ans (13 novembre 2013), l’organisation annuelle du Festival Ley, qu’en est-il de la suite ?
Effectivement nous avons une structure Festi-Ley mise en place et il deux ans déjà, nous avons organisé des hommages qui a vu s’impliquer un certain nombre de gens. Sous la houlette du gouverneur de la ville, Gentiny Ngobila Mbaka, nous avons projeté de mettre en place une organisation sponsorisée en partie par la ville en plus d’autres partenaires qui devraient venir en appoint, malheureusement la crise sanitaire est passée par là remettant tout en question. Évidemment, un festival auquel on veut imprimer toutes les solennités requiert une grosse machine à mettre en marche pour ne pas rater le coche. N’empêche que nous continuions à mettre bout à bout une somme de détails dont dépend la réussite d’un événement de cette envergure comme celui que nous envisageons. Le tout est de marquer les esprits…
Entretien avec
Bona MASANU