Pour les anciens Kinois partis sous d’autres cieux, revenir sur ses pas est presque une obligation après des appels intérieurs d’une cité qui ne demande qu’à revivre autrement.
Kinshasa a changé de physionomie en bien et en moins bien. Les mentalités se sont ramifiées au point où pour mieux vivre dans cette mégapole de pas moins de 12 millions d’habitants (au bas mot) cela implique un certain comportement et une attitude conforme aux us et coutumes du milieu. Sinon, vous ferez vite de retourner d’où vous venez, d’autant que les Kinois dédaignent tout ce qui s’écarte de leurs habitudes. Un deuil se transforme vite à un lieu de spectacles. La compassion dont on faisait montre hier a cédé le pas à une sorte d’exhibition. On vient pour se parader et se montrer à son avantage, pourvu qu’on puisse s’attirer tous les regards, les yeux généralement barrés par des lunettes noires, des anti-solaires défiant le roi soleil dans sa majestueuse tenue de lumière. Ces moments de deuil se sont mués en circonstances de réjouissances où les uniformes des proches du défunt (familles, amis et connaissances mêlés) rivalisent avec les costumes de ville et autres tailleurs pour dames d’une certaine classe flairant le bon goût. On confectionne même des tee-shirts, des banderoles, des gadgets, badges, voire des pin’s à l’effigie du disparu. Rien que pour être dans le coup et au diapason de la vie kinoise. Une innovation dans un univers où l’inventivité et l’esprit créatif se disputent le leadership. On a commencé à pleurer les morts dans des funerarium. Le Covid-19 étant passé par ici : ces pratiques ont été suspendues jusqu’à nouvel ordre. De la morgue, direction cimetière !
Éclairs de génie…
Quittons rapidement ce terrain… Une fois dans un estaminet pour prendre du bon temps et refaire la vie à sa guise en compagnie des amis et même des inconnus, on est pris d’assaut par une horde de vendeurs à la sauvette que personne n’a appelés et qui viennent proposer tout ou presque… Des cacahuètes qui généralement font bon ménage avec la bière, de la charcuterie, des produits cosmétiques, des bijoux clinquants, des racines aphrodisiaques, du linge, des chaussures et tutti quanti… Chacun vantant à coup d’arguments, les avantages de ce qu’il propose. Tout ce qui reste à vendre pour que le tableau soit complet, c’est finalement un être humain. Ça sera la totale dans une ville où les éclairs de génie ne manquent jamais. Des lieux attractifs de la cité appelés pudiquement terrasses ne désemplissent point. Le poulet mayo (mayonaise et piment à côté), ou même son binôme porc braisé ayant subi le même sort sur une grillage déglinguée d’un certain âge, a pris le dessus sur les préférences des « sorteurs ». Une fois installé dans un bistrot, de jeunes athlètes viennent, eux aussi, faire des démonstrations de numéros d’accrobaties à vous couper le souffle, genre pyramide composée d’eux-mêmes soutenus par leur mentor de coach, pendant que des humoristes s’invitent à proximité pour produire des instants désopilants et vous arracher quelques rires. Mais pas seulement ! Tout est fait pour vous faire sortir des espèces sonnantes et trébuchantes de votre poche. Ils font des choix bien calculés : là où des couples sont attablés, en règle générale. Car ils savent que les hommes ne résistent pas à l’envie de mieux se montrer en face des nymphes pour donner la preuve de leur pouvoir, financièrement s’entend ! Ce panorama est loin d’être complet !
Codes et décodeurs…
Pour bien vivre à Kin, il faut avoir un code, mieux un décodeur pour être au fait de tout ce qui s’y passe et ne pas être ringard, donc à la lisière de la courbe évolutive du temps ! Le dimanche, il n’est pas rare de croiser des grappes humaines (tous sexes confondus), en tenue de sport, bouteille d’eau minérale au poing) déambulant les artères. Ne vous étonnez pas c’est simplement une « marche de santé » en ce jour dominical où la multitude de résidents de la capitale vont louer le Seigneur dans des lieux de culte disséminés ici et là. C’est désormais la rentrée dans les lieux de culte après la levée de l’état d’urgence sanitaire.
Même si des habitants de quartiers entiers se plaignent du tintamarre que produisent ces églises de réveil qui s’activent chaque jour que Dieu fait à gagner des âmes supplémentaires pour les rallier à la cause divine. L’autorité municipale se montre encore impuissante face à ce grabuge infernal qui commence à certains endroits dès 5 heures du matin. Du bruit capable de réveiller un mort. Comme si Dieu est devenu, dans l’entre-temps, malentendant. C’est ici que des pasteurs se montrent très regardants surtout lorsqu’il s’agit d’offrandes. Des envois de fonds se font même via le téléphone (du/de la fidèle au pasteur) par transfert des sous interposé. La fonction existe dans des smartphones et les pasteurs également ne ratent pas l’occasion de s’en servir. Lorsque le pasteur est confronté à un problème, il est fait obligation aux fidèles de procéder à une quête spéciale, d’argent bien sûr, mais dans le cas où un de ces derniers connaît le même sort, « l’homme d’église » exige les prières. Simplement. Ici beaucoup de fidèles ont remplacé la paresse par la prière. Où a-t-on jeté ce passage biblique selon lequel « Tu mangeras à la sueur de ton front », et un autre qui rappelle « Que celui qui ne travaille pas ne mange pas non plus »… Celui qui est né à Kin ne peut pas mieux vivre ailleurs qu’ici. Pour faire face à des embouteillages monstres que connaît la ville, les taxis-motos sont venus proposer leurs services, voire dicter leur loi, à ceux qui empruntent les transports en commun. Et comment donc ? La gent féminine en est friande, à ce qu’il semble. Les dames et les demoiselles n’aiment pas trop traîner pour attendre une occasion en vue de se mouvoir d’un point à un autre. Une moto qui passe et hop, la voilà confortablement installée derrière, tant pis pour les cuisses et le string dehors. On s’en occupera plus tard… C’est aussi ça Kin envahi par des déchets résiduels issus de presque tout ce qu’on balance à longueur de journées par un peuple qui fait fi des normes environnementales pour vivre dans une agglomération qui prend du volume à vue d’oeil avec tout ce que cela comporte. Des véhicules (la plupart conduite à droite, comme chez les anglophones) avec des attitudes défiant toutes les règles de la circulation ont envahi les chaussées de la ville rivalisant avec les wewa (motocyclistes) toujours imprévisibles à souhait qui ne pensent qu’à ramener au maximum les recettes et se moquant éperdument comme de leur première culotte des prescrits de la réglementation. Déjà, comme un pied-de-nez à l’autorité, ils ne sont nullement immatriculés, impossible donc de les identifier au cas où… On en est à espérer que l’autorité urbaine pourra, un jour lointain peut-être, mais un jour quand-même, y mettre bon ordre. Et les taxis classiques dans tout ça ? Ils sont tous peints en jaune, ces petits véhicules appelés communément « ketch » pourvus à presque 100% d’une conduite à droite (comme mentionné ci-haut) avec des conducteurs passant le plus clair de leur temps à traiter d’autres usagers de la route de tous les noms d’oiseaux, faisant croire, à coup de jurons, qu’ils connaissent mieux le code qu’eux. Conjurons le sort et acceptons l’augure en touchant du bois… Tout ne pourra pas toujours continuer à aller à vau-l’eau. Prenons le pari de transformer ce fameux slogan qu’on brandit avec force arguments « RDC eloko ya makasi » en « RDC ekolo ya makasi » avec un nouvel état d’esprit en prenant pour de bon le plus bel élan, comme nous le suggère si bien une phrase contenue dans notre hymne national Debout Congolais que même beaucoup n’en connaissent même pas un bout… On vit d’espoir et on rêve d’espérance !
Bona MASANU