Jean-Baptiste Belley a un parcours hors du commun. Dans le cadre de son dossier « Il était une fois », LaLibre.be revient sur l’histoire de celui qui a rejoint la France juste après la Révolution française pour abolir l’esclavage dans les colonies. Non sans mal…
« Timbazé » ou « Mars »… Ses surnoms, Jean-Baptiste Belley les tient d’événements qui ont rythmé son parcours atypique. Né le 1er juillet 1746 sur l’île de Gorée au Sénégal, il ne reste pas longtemps au pays de la Téranga puisqu’il est vendu dès l’âge de deux ans. Il est à l’époque embarqué dans un « négrier », un bateau dans lequel se trouve des marchands d’esclaves. Le navire le dépose à Saint-Domingue, actuel Haïti, où il grandira. À l’heure actuelle, peu d’informations sont connues au sujet de sa famille ou encore de son enfance.
Jean-Baptiste arrive en tant qu’esclave à Saint-Domingue. A ses 18 ans, il est affranchi. Ayant appris à écrire et à lire, il devient perruquier et parvient à avoir les moyens d’acheter sa liberté. Cela étant, Jean-Baptiste reste dans une position sociale difficile. Il rêve d’ascension et il y a deux manières évidentes de l’obtenir : devenir propriétaire terrien ou rejoindre l’armée. N’ayant pas les moyens ni les terres pour devenir propriétaire, Jean-Baptiste s’engage dans la milice. Celle-ci est divisée en trois sections selon la couleur de peau : la compagnie des « blancs », des « mulâtres » et des « nègres ».
Une montée en puissance militaire et politique
En 1779, Jean-Baptiste, que l’on surnomme alors « Timbazé », rejoint les Etats-Unis avec 800 autres esclaves affranchis pour l’ »expédition Savannah » dans le cadre de la guerre d’indépendance. Il se bat contre les Anglais et montre sa bravoure. Il est considéré comme un élément essentiel dans l’armée et devient officier, ce qui lui vaut un nouveau surnom, « Mars », en référence au dieu romain de la guerre. Il prend ainsi de plus en plus de place dans l’armée et obtient de plus en plus d’argent et de prestige. Il finit d’ailleurs par acheter lui-même des esclaves et des terres à Saint-Domingue.
En 1789, la France s’agite et la révolution débute. « Mars » est alors capitaine d’infanterie à Saint-Domingue mais les événements qui se déroulent dans la métropole vont le toucher directement. En 1792, une loi française stipule que les colonies doivent toutes élire des représentants à l’Assemblée législative, peu importe leur couleur de peau. Ainsi, cette loi promet à tous les hommes libres, sans distinction, des droits civiques et politiques.
Suite à cela, Jean-Baptiste est élu à l’unanimité par la Convention nationale afin d’être député. Il y représente le département du nord de Saint-Domingue et y siège avec Jean-Baptiste Mills et Louis-Pierre Dufay. L’image est symbolique puisque le premier est blanc et le second mulâtre. De plus, les trois élus proviennent de trois continents différents : Europe, Amérique et Afrique. Ils débutent ensemble leur périple vers la France pour rejoindre leur nouvelle fonction et tenter de mener à bien leur mission : abolir l’esclavage dans les colonies.
Un périple difficile avant des acclamations et une mesure phare à Paris
Le périple de Jean-Baptiste pour rejoindre la France est long et durera quatre mois. Pour atteindre la ville des Lumières, il doit faire escale à Philadelphie et New York. Cependant, aux Etats-Unis, l’idée que des personnes « de couleur » puissent avoir un statut politique tel que celui de député passe difficilement. L’aide de Jean-Baptiste lors de la guerre d’indépendance semble avoir été oubliée. Il est lynché et finit dans une prison new-yorkaise. Malgré les violences subies, « Timbazé » ne se laisse pas faire. Il tient tête à ses oppresseurs, allant même jusqu’à leur répondre : « Quand on sait sauver les blancs et les défendre, on peut bien les commander ». C’est Danton, un des chefs Montagnards, qui lui viendra en aide et le fera sortir de prison. Une fois arrivé à Lorient, Jean-Baptiste subit le même sort. Il est arrêté par des colons et contraint de retourner en prison. Il sera toutefois à nouveau libéré grâce à l’aide de proches de Danton. Président de la Convention nationale, Danton était pour l’abolition de l’esclavage, contrairement à Robespierre.
A la fin d’un long périple, Jean-Baptiste débarque à la Convention nationale avec ses deux comparses. Il est acclamé et ses présentations sont remarquées : « Je suis né en Afrique, moi : amené dans l’enfance sur le sol de la tyrannie, j’ai par mon travail et mes sueurs conquis une liberté dont je jouis honorablement depuis trente ans en chérissant ma patrie ». Si l’esclavage est déjà aboli à Saint-Domingue, les trois hommes prônent sa disparition dans toutes les colonies françaises. Le lendemain de leur arrivée à la Convention, soit le 16 pluviôse an II, selon le calendrier républicain (4 février 1794), le décret sur l’abolition de l’esclavage est voté en France. Cette décision est rapidement critiquée et ne sera pas appliquée à toutes les colonies. Le décret ne concernera pas la Réunion ou l’Île Maurice, par exemple.
Une carrière en péril avec l’arrivée de Napoléon et une mort dans l’oubli
Jean-Baptiste siège à la Convention jusqu’en 1797. C’est un homme de terrain et il préfère agir de manière concrète, sur place, plutôt que de rester enfermé au Parlement. Il décide donc de quitter la France afin de retourner à Saint-Domingue et prendre les commandes de la gendarmerie.
En 1799, Napoléon Bonaparte arrive au pouvoir par un coup d’Etat. Trois années plus tard, la carrière de Jean-Baptiste s’effondre. On l’accuse d’avoir révélé du contenu compromettant au sujet de la France. Il aurait affirmé: « Le fouet du noir servira à mener les blancs à notre service ». Cependant, aucune preuve n’est donnée à ces accusations jugées peu crédibles par les historiens. Napoléon Bonaparte, qui aurait exigé qu’aucune personne noire n’ait de hauts grades dans la gendarmerie, pourrait en réalité être responsable. Ne pouvant plus espérer mieux qu’un rôle de capitaine, Jean-Baptiste perd ses responsabilités au sein de l’armée. Il ne sera d’ailleurs pas le seul à être évincé des fonctions régaliennes suite à l’arrivée de Bonaparte.
Suite à la perte de son grade au sein de l’armée, Jean-Baptiste Belley est envoyé en France. Il arrive tout d’abord à Brest et passe par un camp de triage depuis lequel il sera envoyé à Belle-Ile-en-Mer. Il y est emprisonné en 1802. La même année, Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage que Jean-Baptiste avait tant combattu. Ce dernier se retrouve alors coupé du monde extérieur et de la lumière du jour pendant trois ans. Il tombe dans l’oubli et décède en 1805. A noter que la triste fin de vie de Jean-Baptiste Belley n’est pas une exception. De nombreuses personnes de couleur noire ayant œuvré pour la France durant la Révolution française ont été oubliées suite aux décisions prises par Napoléon. Certaines ont été envoyées au bagne, d’autres exilées, emprisonnées ou encore assassinées.
Reconnaissance posthume
Si après sa mort, celui que l’on surnommait « Mars » est tombé dans l’oubli, son image a continué à circuler dans le monde grâce au travail du peintre Anne-Louis Girodet. L’artiste a été inspiré par la figure emblématique de Jean-Baptiste, alors député, et lui a dédié une œuvre. Ce tableau montre « Timbazé » dans un costume, appuyé à une cheminée sur laquelle se trouve le buste de l’abbé Guillaume-Thomas Raynal, célèbre écrivain adversaire du colonialisme. Le tableau se trouve désormais au musée d’Orsay à Paris.
En 2020, le président français Emmanuel Macron a demandé à 19 chercheurs de lister des personnages ayant marqué l’histoire française afin de rebaptiser 318 noms de rue. L’ancien (et premier) député noir de l’histoire, qui possède déjà une rue à son nom à Basse-Terre (Guadeloupe) et une place à Pantin (en Seine-Saint-Denis en France), sera mentionné dans ce rapport.