Corruption, droits des justiciables bafoués, surpopulation carcérale, « politisation » des procédures judiciaires… Les assises de la justice qui se sont ouvertes à Kinshasa ont tourné au procès de l’appareil judiciaire, auquel l’exécutif entend administrer une « thérapie de choc ».
C’était en juillet 2023, soit cinq mois avant la fin de son premier mandat. Interviewé par la RTNC, Félix Tshisekedi n’hésitait pas à dire son mécontentement. « Je ne suis pas vraiment satisfait du bilan jusqu’ici récolté dans la justice. J’ai beaucoup compté sur ce pouvoir. C’est la justice qui élève une nation mais, dans notre cas, la justice détruit notre nation. » Quelques mois plus tard, tout juste réélu à la tête de la RDC, le chef de l’État enfonçait le clou, déclarant devant des journalistes : « Notre justice est malade ». C’était en février dernier. Rien d’étonnant donc à ce qu’il ait, ce mercredi 6 novembre, donné personnellement le coup d’envoi des états généraux de la justice.
« Thérapie de choc »
L’objectif ? Proposer un diagnostic et des pistes de réformes. « Cet événement crucial nous offre l’opportunité de scruter avec lucidité et honnêteté l’état de notre système judiciaire, d’identifier les défis qui entravent son fonctionnement et de tracer ensemble les voies de sa renaissance », a lancé Félix Tshisekedi à l’occasion du lancement de ces travaux, qui vont durer jusqu’au 13 novembre.
« Très souvent, nos concitoyens se sentent trahis lorsque les principes fondamentaux de la justice sont bafoués par certains acteurs pour satisfaire leurs intérêts personnels et leur appétit du gain indu », a regretté le président congolais. « La nation vous observe », a-t-il lancé aux magistrats, affirmant que « tout manquement, défaillance, compromis avec la probité seront désormais sanctionnés ». Et de préciser : « En tant que magistrat suprême, c’est avec détermination que je me tiens ici pour affirmer que notre appareil judiciaire sera restauré, bon gré mal gré. »
Le ministre de la Justice, Constant Mutamba a, lui aussi, dressé un tableau peu reluisant de l’appareil judiciaire. « Sept Congolais sur dix ne se retrouvent pas dans la justice telle qu’elle est administrée aujourd’hui en RDC, d’où les différentes jérémiades, les différentes plaintes et, parfois, les différentes tensions sociales observées au sein de notre société », a-t-il fait remarquer.
Dans le discours qu’il a délivré devant Félix Tshisekedi, ainsi que la large assistance composée, notamment, de nombreux magistrats – 3 500 personnes doivent participer à ces assises – Constant Mutamba n’a pas hésité à dénoncer les nombreux cas de spoliations de biens publics ou privés et les cas d’arrestations arbitraires. Il a également pointé la surpopulation qui prévaut dans les prisons congolaises – en particulier la prison de Makala, à Kinshasa –, où les détenus « sont entassés comme des sardines » et « parfois, certains en meurent par étouffement ».
Le ministre de la Justice, qui n’a pas manqué d’évoquer également les conditions de travail des employés du secteur judiciaire, a également pointé plusieurs pistes de réformes, qu’il a jugées comme étant parmi les plus urgentes : la mise en place d’un principe d’insaisissabilité des biens des entreprises et services publics, l’instauration d’une caution judiciaire pour protéger les entreprises privées des plaintes abusives ou encore la bancarisation des frais de justice. Ces griefs vont être au cœur des débats qui vont animer ces assises, qui doivent déboucher, d’ici la mi-novembre prochaine, sur les détails opérationnels de la « thérapie de choc » auquel l’exécutif entend soumettre l’appareil judiciaire congolais.
Réforme constitutionnelle et « politisation »
S’il ne s’est pas longuement attardé sur le sujet, Constant Mutamba a également abordé la question – sensible – d’une éventuelle réforme constitutionnelle. « J’invite les uns et les autres à travailler de telle manière que nous puissions avoir des recommandations qui puissent déboucher sur des réformes courageuses, celles qui pourraient toucher, pourquoi pas, à la révision de la Constitution », a notamment déclaré le ministre.
Mgr Donatien Nshole, secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale congolaise (Cenco), a pour son part profité de l’occasion pour dénoncer ce qu’il a qualifié de « politisation de la justice ». « Votre justice est très politicienne, à plusieurs niveaux, a lancé le prélat, tant à l’adresse des magistrats que des responsables politiques présents. Pour régler ses comptes aux adversaires politiques, on use de son influence pour créer un dossier [judiciaire] politique, monter les preuves », a-t-il accusé.
Plus modéré, Dieudonné Kamuleta, président du Conseil supérieur de la magistrature, a pour sa part enjoint les participants à mener un examen approfondi des précédentes assises sur la justice, qui s’étaient tenues en 2015, sous la présidence de Joseph Kabila. Il a notamment réclamé que soit évalué « le niveau de mise en œuvre » des décisions annoncées alors.
« De ces assises, 350 recommandations avaient été enregistrées, allant de l’indépendance du pouvoir judiciaire, à la lutte contre l’impunité, en passant par l’accès à la justice, la sécurité des investissements et la planification, la coordination et le financement des réformes de la justice », a-t-il listé, comme pour mieux souligner l’absence d’avancées réelles sur l’ensemble de ces problématiques depuis près d’une décennie.
Stanis Bujakera Tshiamala