Premier vice-président de l’Assemblée nationale et membre influent du parti au pouvoir en RDC, Jean-Claude Tshilumbayi défend le projet de révision d’une Constitution jugée obsolète.
« Notre cher beau pays mérite mieux ! » proclame un spot de sensibilisation à la révision constitutionnelle. Il a été diffusé sur le réseau social X par Augustin Kabuya, secrétaire général (en sursis) de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti présidentiel. « Le moment est venu de dire non à une Constitution caduque, obsolète, faisant la part belle aux belligérants », poursuit le narrateur de la vidéo.
Félix Tshisekedi a été le premier à lancer le débat. C’était en mai dernier, devant des ressortissants congolais réunis à Bruxelles. Ce jour-là déjà, le chef de l’État avait déjà qualifié d’« obsolète » la Constitution de la RDC, regrettant qu’elle ait été conçue en faisant « la part belle aux belligérants ». Augustin Kabuya lui a ensuite emboité le pas lors d’une réunion publique, le 29 septembre, avant que le président revienne lui-même sur le sujet lors d’un déplacement à Kisangani le mois suivant.
Plébiscitée par référendum en 2006, révisée en 2011, la Constitution ne trouve plus grâce aux yeux du chef de l’État et à ses camarades de l’UDPS, qui se focalisent sur ses défauts. Chacun y va de son argument pour dénigrer un texte qui aurait montré ses limites. Pour Jean-Claude Tshilumbayi, membre influent du parti au pouvoir et premier vice-président de l’Assemblée nationale, la Constitution est le fruit d’un contexte historique dépassé. Jeune Afrique l’a rencontré à Kinshasa, dans son vaste bureau du Palais du peuple.
Jean-Claude Tshilumbayi : Il fut un temps où l’honorable Delly Sesanga avait lui aussi lancé l’idée d’une modification d’une trentaine d’articles de cette Constitution. Pour le moment, nous sommes encore à l’étape où certains pensent qu’il faut réviser ce texte quand d’autres veulent le changer sans forcément préciser sur leurs motivations ou ses failles.
Le chef de l’État a dit qu’une commission d’intellectuels et d’experts de tous les domaines serait mise en place dès l’année prochaine pour réfléchir à toutes ces possibilités. Avec la possibilité qu’il dise que ce n’est pas opportun de changer la Constitution ou qu’il demande la révision de certains articles. Aujourd’hui, aucune décision n’a été prise.
L’opposition craint que Félix Tshisekedi profite d’une révision pour remettre à zéro le compteur de ses mandats. Existe-t-il une garantie qu’il s’en abstienne ?
On a l’impression que parler de révision constitutionnelle, c’est quelque chose de très grave dans une nation civilisée comme la nôtre. Eh bien non ! Cette Constitution a déjà été modifiée dans ses articles les plus intangibles : la modification de 2011 a notamment porté sur l’article 220 [qui empêche toute révision du nombre et de la durée des mandats présidentiels] : lorsque vous allez au dernier alinéa, l’article proscrit tout modification des pouvoirs des provinces et des entités territoriales décentralisées. Et pourtant, en 2011, le monopole de l’Assemblée provinciale en matière d’élection et de démission du gouverneur a été supprimé pour que le gouverneur soit doublement responsable devant le président de la République et le gouvernement provincial. Donc l’article 220 a déjà été modifié !
Notre population parle de la Constitution comme d’un texte sacré, et c’est vrai qu’elle l’est. Mais les mêmes peuvent aussi se montrer très critiques à l’égard de ce texte. Un exemple : la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente pour juger l’ancien Premier ministre Matata Ponyo Mapon, soupçonné du détournement de plusieurs millions de dollars.
Pour se déclarer incompétente, la Cour s’est fondée sur les articles 164 et 167 de la Constitution [qui mentionnent le Premier ministre en fonction seulement]. Et vous pensez que tout cela est acceptable ? Tout cela parce que ceux qui ont négocié cette Constitution ont commis les crimes les plus odieux et qu’ils ont cherché à se protéger. Elle a été écrite par des hommes qui avaient des machettes et des kalachnikovs à la main. « Tu mets cet article, je dépose la mitrailleuse, tu l’enlèves, je la garde et je reste en brousse. » Vous pensez qu’on ne peut pas toucher à cela ?
Mais le timing de cette réflexion interroge… Pourquoi maintenant ?
C’est la première fois que les conditions d’une modification sont réunies. Ceux qui l’avaient révisée, les armes à la main, ne sont plus là. Maintenant, les hommes peuvent l’écrire en toute indépendance. En 2006, nous, les Congolais, voulions surtout mettre fin à la guerre et empêcher qu’un homme se réveille un jour et tente de prendre le pouvoir par la force. Et pourtant, cette Constitution n’a pas pu réguler cette infamie. Chaque année, un nouveau groupe armé qui tente de prendre le pouvoir. Comment ne pas en conclure que c’est un échec ?
L’opposition cherche à s’unir contre l’éventualité d’une révision, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) a déjà dit non… Ne craignez-vous pas leur mobilisation ?
Ce n’est pas la Cenco qui révise la Constitution ou dicte au peuple ce qu’il doit penser. Le peuple est plus grand que cette Cenco qui soutire de l’argent aux familles pour qu’elles payent des frais de scolarité alors même que cette Constitution qu’ils prétendent défendre a fait la gratuité de l’enseignement comme un droit fondamental. Et on voudrait nous faire croire que la Cenco protège la Constitution ? C’est malhonnête ! Lorsque nous aurons le temps de discuter avec nos jeunes dans nos universités, nous inviterons les ténors de la Cenco à venir débattre et la jeunesse pourra décider ce qu’elle veut pour le pays.
En 2006, notre position commune, c’était d’appeler au boycott de cette Constitution. Et les failles que nous relevions hier sont les mêmes aujourd’hui. Ce n’était pas un bon texte, et les conditions de sa rédaction n’offraient pas à notre peuple la possibilité de s’épanouir.
En 2006, le peuple n’a pas été consulté dans de bonnes conditions. On s’est réveillé un matin en demandant aux gens : « c’est oui ou c’est non ? » Mais le texte n’avait pas été suffisamment partagé et nous l’avions condamné. C’est pour cela que nous avions refusé de participer au scrutin. J’ajoute que les opposants qui, à l’époque, ont fait campagne contre la révision ont été torturés ou jetés en prison ; d’autres ont été forcés à l’exil… Cette Constitution n’a donc pas été adoptée à l’issue d’un vote démocratique. Et nous avions promis au peuple de changer la Constitution en cas d’accession au pouvoir.
Vous assurez la médiation pour résoudre la crise qui, au sein de l’UDPS, oppose Augustin Kabuya à un groupe de frondeurs. Avec quels résultats ?
Nous avons fait un travail de rapprochement des différentes tendances en conflit. Nous avons proposé un résumé des principales revendications, qui a été remis à qui de droit. Nous attendons l’arbitrage de notre chef, je crois que c’est pour bientôt. J’ai une grande satisfaction par rapport à la qualité du travail que j’ai abattu. C’est un travail qui a mécontenté les deux parties en conflit, et cela prouve la neutralité de mon équipe.
Nous allons bientôt retrouver un parti unifié, et nous parlerons d’une seule voix. Ce sont de petits soucis qui arrivent dans une organisation démocratique comme l’UDPS. On ne peut pas s’attendre à toujours être d’accord, mais nous avons toujours été en mesure de surmonter nos contradictions, et de trouver le moyen d’en sortir grandis.
Le départ du secrétaire général, qui cristallise le mécontentement, a-t-il été acté ?
Vous touchez la corde sensible. C’est probablement ce que les parties en conflit attendent de nous, que nous venions leur dire ce qu’a dit le président. Mais on n’a pas à dévoiler les contours de nos discussions avec le chef. Il est le père de tout le monde. Lorsqu’un enfant lève le doigt en famille et dit qu’il n’est pas d’accord avec la manière dont la chose commune est administrée, il est du devoir du parent de l’écouter. Mais l’écouter ne signifie pas répondre à ses réclamations.
Romain Chanson – Envoyé spécial à Kinshasa