Henri Bowane est né en 1926 à Mbandaka ex Coquilathville, d’un père Congolais de Brazzaville (Sibiti), Titi Raoul, dont le père était Togolais et la mère Congolaise, d’une congolaise de Kinshasa, Jeanne Bontone. Clerc venu travailler dans les sociétés agricoles de ladite province, Titi Raoul épouse une femme de tribu Mongo qui enfanta Henri Bowane. Bénéficiant du statut d’assimilé, les Congolais de Brazzaville étaient considérés comme des Français et d’ailleurs certains d’entre eux siégeaient au Parlement comme Blaise Diagne durant la Première Guerre Mondiale et d’autres au Gouvernement à l’instar d’Houphouët Boigny qui fut plusieurs fois ministre d’Etat du Gouvernement français. Pour ainsi dire que Bowane avait bénéficié d’une bonne éducation de la part de son père et avait déjà des contacts dans le milieu des blancs de Conquilathville, ce qui lui avait permis de pénétrer facilement le milieu de blancs de Léopoldville.
Une fois à Léopoldville en 1946, il va intégrer les éditions Ngoma une année après sa création et va entrainer ses collègues comme Wendo et Bukassa à faire autant. Il a contribué à la mise en place de maisons d’édition comme Opika, Loningisa, Cefa et Esengo et à la promotion des musiciens et des orchestres congolais. Homme à multiples talents, il a été à la fois chanteur, guitariste, auteur compositeur, arrangeur, recruteur, découvreur de talents, chef de studio, chef d’orchestre, manager, tourneur de groupes, etc. Beaucoup de grands musiciens lui doivent leurs carrières comme Wendo, Bukasa, Guy Léon Fylla, Franco, Rossignol, Essous, Nino Malapet, Lucie Eyenga, etc. Malgré son apport combien déterminant sur l’émergence de la rumba congolaise, il n’est pas reconnu à sa juste valeur. Il y a lieu de lui rendre des mérites dignes d’un catalyseur de la rumba congolaise.
Nous retraçons quelques éléments de son parcours pour démontrer le rôle majeur qu’il a joué dans l’émergence de cette musique.
Débarqué à Kinshasa en 1946 venant de Coquilathville, Henri Bowane monte rapidement l’orchestre Victoria Coquilathville qui ne fera pas long feu. Il intègre en 1947 les éditions Ngoma de Niko John Jeronimidis et amène Wendo après la faillite des éditions Olympia. Il est le co-auteur de la célèbre chanson Marie Louise dans laquelle il chante et joue de la guitare, sortie aux éditions Ngoma. Et il roulait déjà à l’époque dans une voiture Cadillac. C’est ce qu’évoque Wendo dans la chanson : « biso tozali na voitili na biso, tokomba ye na nzela Kingabwa ». En plus de cette chanson, il a également composé Assero, Baluka nkisi, Rumba-Rumba et Marie Bisengo. Il est le premier à mettre en place l’usage du sébène dans la musique congolaise à travers la chanson Marie Louise.
En 1950, il introduit Léon Bukasa venant du Katanga depuis 1948 aux éditions Ngoma. Celui-ci va exceller dans les instruments à cordes et à vent et il va introduire la contre basse et la clarinette. Il enregistre avec son orchestre Watoto wa Katanga Bamunama et mambeleo.
Athanase et Basile Papadimitriou créent en septembre 1950 les éditions Loningisa et les tâches les plus importantes sont confiées à Bowane et il est à la fois chef de studio, chanteur, guitariste et chargé de recrutement. Papadimitriou lui offre une voiture de marque Taunus.
Parmi les premiers recrutés, on peut citer les transfuges des éditions Ngoma tels Honoré Liengo, Théophile Yenga, Camille Massamba, Charles Bala et Adikwa et sur instigation de Papadimitriou, Henri Bowane va mettre en place Bana Loningisa, un collectif des musiciens d’accompagnement desdites éditions.
Et les cinq premiers disques c’est-à-dire les dix premières chansons de cette maison d’édition sont de Bowane notamment disque 1 : Bowane na Honoré et Bisambo ; disque 2 : somba accordéon et Marie Claire ; disque 3 : Bowane et tala mwana mwasi oyo ; disque 4 : Tata Bowane apiki dalapo et Tangana et disque 5 : Bowane makambo et Welo welo. Bowane fait recours à la gente féminine avec l’interprétation au chant de Marie Kitoto et il va mettre sur le marché des œuvres comme Ya bisu se malembe, Yokole yekele, baya mbangu baleka, Chéri kanga vélo tosolola mwa moke, Nakeyi Luanda, balobi nakoti boloko, wa nga moko, liwa, kotiya zolo te, mama alobi nabala yo, Nyokuna, la beauté à Kinshasa, la violette à Brazzaville, mbula ebeti, naleli, etc.
Une seconde vague va suivre dans les années 51-52 avec des musiciens comme Disasi, Fataki, Kitenge, Kalafay, Adikwa, Putu, Kabamba, Pauline Lisanga, Marie Kitoto, Bossocould, Tino Mab Pembele, Maitre Taureau.
En 52, Bowane offre ses services à la maison d’édition CEFA et il va introduire Guy Léon Fylla et sa femme Marcelle Ebibi qu’il a découverts à Brazzaville. Guy Léon Fylla sort la chanson ‘’Mama e’’ qui obtiendra le prix de la radio RTBF. C’est lui qui amène aussi Roger Izeïdi, Brazzos, Roitelet et Vicky Longomba à intégrer ladite maison d’édition.
Poursuivant son travail de recruteur, il va amener dans les éditions Loningisa en 1953 d’autres musiciens comme Paul Ebengo Dewayon et son orchestre Watam, Daniel Loubelo Delalune venant de Brazzaville, Mutombo, Mongwalu, Vicky Longomba, Lando Rossignol qui vient de Coquilathville sur invitation de Bowane, Augustin Moniania Roitelet, Pholidor, Kossi Pedro Bemi, Saturnin Pandi de Brazzaville aussi.
Le groupe Watam est composé de Bikunda, Mutombo, Ganga, Mongwalu, Franco et lui-même Dewayon.
Dewayon va composer plusieurs chansons dont bokilo ayebi kobota, nalekaki na nzela, yembele yembele, tandis que Luambo Franco enregistre ses premières chanons Lilima chérie na nga, kombo ya loningisa.
Toujours sous l’égide de Bowane, Bana loningisa devient Loningisa en 1955 et il est ouvert au public pour des concerts avec comme musiciens : Bowane (guitare), Delalune et Desouin (guitare), Roitelet (basse), Pandi (tumbas), Luambo Franco intègre le groupe et Bowane le surnomme Franco, Rossignol, Kosi Bémi, Polydor, Essous, Vicky Longomba.
En 1954, Bowane amène quelques musiciens en tournée à Luanda et au retour il sort la chanson Nakeyi na Luanda et ensuite il fera une tournée à Bumba en passant par Mbandaka avec Franco et Rossignol.
Toujours la même année, Bowane découvre l’orchestre Negro Jazz à Brazzaville après avoir joué la première partie du concert d’African Jazz au bar chez Faignond de Brazzaville et va l’amener à Kinshasa. Parmi les membres de ce groupe, on peut citer Joseph Kaba, Essous Jean Serge, Nino Malapet, Diaboua Lièvre, Edo Ganga, Célestin Kouka, etc. dont certains seront à l’origine de la création de l’Ok Jazz plus tard.
Dans le Bana Loningisa, Franco enregistre en 1955 deux chefs d’œuvre Marie catho et bolingo na nga Béatrice et le font découvrir au grand public comme auteur compositeur de talent et lance sa carrière.
La montée en puissance de jeunes loups du groupe Loningisa a fait pâlir l’influence de Bowane et découragé, il finit par quitter les éditions Loningisa pour Esengo.
Après la création de l’Ok Jazz le 6 juin 1956 par Franco, Essous, Rossignol, Desouin, Delalune et Vicky Longomba et sur les conseils de Bowane Dino Antonopoulos crée les éditions Esengo et suggère à Essous, Roitelet, Rossignol, Tino Baroza de rejoindre cette nouvelle maison d’édition. Suite à la faillite de maison Opika, Bowane convainc également Grand Kalle à rejoindre les éditions Esengo à côté de l’orchestre Rock’A Mambo et Conga jazz de Dewayon.
En 57, Bowane, Rossignol et Essous forment le trio BEROS et sont accompagnés par Roitelet et Pandi.
Grâce à son expertise, les éditions Esengo surfe sur le succès à travers des œuvres de haute facture produites par African Jazz, Rock’A Mambo et Conga succès de Dewayon. Des œuvres comme La rumba caliente, la rumbanella de mi corazon, ah mama mokili ekobaluka font fureur et sont exécutées par Gogène à la guitare, Nzambe dit Sathan au chant avec Rossignol, Essous à la clarinette et Maproco au saxo.
A l’approche de l’indépendance et suite au départ des blancs, les éditions Esengo vont faire faillite et Bowane crée en 1959 l’orchestre Ryco Jazz (rythme congolais de jazz) et ils vont faire des tournées en Centrafrique, Cameroun, etc et qui vont les amener en France métropolitaine et aux Antilles.
Dès 60, Bowane s’exile en Afrique de l’Ouest où il poursuit ses activités de manager et tourneur entre Ghana et Togo. Et 1977, lors d’un voyage à Accra, il a produit un remix des chansons de Zaïko. De retour à Kinshasa, il n’a pu poursuivre ses activités et malade, il meurt en 1992.
Bowane laisse à la postérité l’image d’un homme aux multiples talents et un héritage inestimable qui mérite d’être divulgué.
Herman Bangi Bayo