Il n’a donc pas fallu 24 heures afin que les révélations sur la discussion entre Joseph Kabila et Corneille Nangaa se concrétisent par la voix de l’ancien gouverneur du Kasaï Oriental, Ngoy Kasanji.
Sur Radio Okapi, Ngoy Kasanji a tenté d’étaler les avantages d’une élection présidentielle par les grands électeurs. A l’entendre, cette élection coûterait moins cher, serait plus démocratique et la légitimité du nouveau président en sortirait renforcée par rapport à l’actuel scrutin à un seul tour qui continue à susciter la controverse.
Certaines voix critiques se sont déjà fait entendre pour dénoncer la tentative de manipulation du FCC. L’élection présidentielle au suffrage universel est le mode de scrutin le plus démocratique et le moins cher qui engage tous les électeurs congolais. Élu sur la base d’une circonscription unique parmi une poignée de candidats, cette élection est probablement l’illustration la plus parfaite de l’expression démocratique populaire. Les scrutins indirects sont eux généralement synonymes de terribles marchandages et en RDC, l’élection des sénateurs en est l’exemple le plus navrant. Nombre de grands électeurs mettent en poche leur conscience et oublient les mots d’ordre de leur parti politique pour voter en fonction de l’enveloppe financière âprement négociée la nuit qui précède le vote. Et c’est de cette manière qu’au FCC on voudrait demain que le prochain président de la République soit élu ?
Quant à l’argument sur le financement introuvable d’une élection du président au suffrage universel. Si le cycle électoral a coûté près d’un milliard de dollars, Corneille Nangaa, qui avait annoncé un budget nécessaire de 432 millions de dollars en décembre 2017 pour organiser ces scrutins, n’a toujours pas justifié cette subite et énorme inflation, notamment sur le coût faramineux de ces machines à voter importées à pris d’or de Corée du Sud.
Au fil des semaines, la machine de propagande des FCC s’est mise en branle. Tous les Congolais comprennent désormais la raison pour laquelle Joseph Kabila et sa plateforme sont déterminés à imposer leur candidat Ronsard Malonda à la tête de la CENI et à occuper la majorité des postes au sein de cette institution. Elle doit leur garantir une très large majorité d’élus afin de concrétiser le retour de Joseph Kabila à la présidence de la République. Concoctée de longue date, cette opération est désormais en cours. Depuis quelques semaines, l’ex-président, qui a reçu de 13 h à 20 h ce mardi Azarias Ruberwa à GLM, instruit ses hommes de mettre un sérieux coup d’accélérateur à son projet de retour au pouvoir.
La sonnette d’alarme a retenti à la suite des échecs successifs du FCC dans le domaine de la justice où l’ancien président semble progressivement perdre la main. En effet, la Cour constitutionnelle semble désormais tombée dans l’escarcelle du nouveau président qui en dispose à sa guise. Cette défaite avait été précédée par la mise en place au sein de l’état-major de l’armée. Là aussi, les espaces gagnés par le nouveau président qui a imposé plusieurs officiers supérieurs de son obédience n’ont pas rassuré le camp Kabila. Depuis la disparition à ce jour inexpliquée du général Delphin Kahimbi, la machine à perdre a également pris une belle allure côté FCC. La relégation du général John Numbi dans sa ferme et l’arrestation du major Christian Ngoy impliqué dans l’assassinat de Floribert Chebeya s’inscrivent dans l’implacable logique de démantèlement du pouvoir de Joseph Kabila engagé par le nouveau pouvoir.
Et finalement, le nerf de la guerre étant le plus sensible et puissant des déclencheurs des plus grandes tempêtes, la décision de mettre fin aux exonérations de EGAL, la première société d’importations des vivres appartenant au clan Kabila et de réclamer 800 millions de dollars à son gérant, Albert Yuma, est vécue comme une déclaration de guerre entre les deux grandes familles au pouvoir.
Dane ce contexte et parallèlement à la réforme du mode de scrutin visant à remettre en selle la candidature de Joseph Kabila, le FCC ne cache plus désormais sa volonté d’engager la procédure de destitution du nouveau président. Après avoir accumulé de nombreux éléments faisant état de la violation répétée de la Constitution, les composantes du FCC ont décidé de mettre en piste leurs constitutionnalistes maison pour en découdre avec Félix Tshisekedi. Ainsi, après Théodore Ngoyi, pasteur et candidat malheureux à l’élection présidentielle, c’est le professeur Nyabirungu qui monte en première ligne pour étayer l’acte d’accusation en préparation. Ce dossier devrait être déposé auprès du procureur général près la Cour de cassation qui devrait demander dans les prochaines semaines l’autorisation au Congrès de poursuivre Félix Tshisekedi. Au cas où le parlement entre les mains du FCC accède à cette demande, la Cour de cassation examinera le bien-fondé de l’accusation et la réalité des faits reprochés au président de la République. Si ces faits devaient être avérés, la Cour reviendra devant le Congrès pour demander la levée de l’immunité du président de la République. Si cette levée est confirmée par les députés de Joseph Kabila, le sort de Félix Tshisekedi sera entre les mains de la Cour Constitutionnelle qui a seule le pouvoir de le mettre en accusation.
Cette procédure est longue. Mais l’homme de Kingakati est déterminé à en découdre avec son successeur et à revenir au pouvoir.
Mais ce scénario occulte un acteur majeur : le peuple et la rue congolaise qui ont déjà démontré, en janvier 2015, qu’ils peuvent se mobiliser. A l’époque, Kinshasa s’était embrasé et le pouvoir avait dû faire marche arrière. Aujourd’hui, le FCC veut repasser les plats avec la même optique : permettre à son autorité morale de revenir coûte que coûte au pouvoir. Une fois de plus, cette politique aveugle au service d’un seul homme risque d’embraser, avec son cortège de malheurs et de morts, un pays qui n’a déjà traversé que trop d’infortunes.
Libre Afrique
- Le titre est de notre rédaction