La première banque commerciale en République démocratique du Congo se trouve au cœur de la saga judiciaire qui frappe le plus haut sommet du pouvoir. Dans le scandale « Vital Kamerhe », qui a vu le Directeur de cabinet du président congolais Félix Tshisekedi finir en prison et plusieurs autres officiels cités, la Rawbank est accusée d’avoir aidé à faire disparaître 47 millions de dollars américains, en les payant en liquide à un prestataire.
Mars 2019. Thierry Taeymans est aux anges. Le banquier belge est au sommet de son art. Il trône, pour la cinquième année consécutive, sur les banques commerciales de la RDC. « Pour la 5e année consécutive, le magazine américain Global Finance désigne la Rawbank, meilleure banque de la République Démocratique du Congo. Félicitations à toutes nos équipes ! » s’exclame-t-il dans un tweet. Il est le Directeur général de la Rawbank.
Le 13 mars, le prestigieux magazine américain Global Finance, spécialisé dans les publications financières, a en effet divulgué son 25ème classement des meilleures banques du monde par régions et pays en 2019. Dans la catégorie “meilleure banque africaine”, la Banque RAWBANK a été consacrée meilleure banque de la République Démocratique du Congo (RDC) pour la cinquième année consécutive.
Taeymans, le joyau des Rawji
Selon les chiffres fournis par ce magazine, avec 25% de parts de marché en RDC et 440 000 clients pour un bilan de 1,37 milliard de dollars en 2017, et une progression au même rythme en 2018 (en attendant la publication des résultats), RAWBANK connaît, en effet, une croissance constante d’année en année depuis sa fondation en 2002.
En RDC, l’histoire de la banque aux trois croissants de lune est intimement liée à celle de la famille Rawji, ses propriétaires. Celle-ci investit au pays depuis quatre générations. Dans une interview au journal Le Soft Internationale en 2016, Taeymans explique comment cette banque a fait de lui sa pièce maîtresse.
« En 2001, alors que je me trouve à Bruxelles, Mazhar Rawji me demande de revenir en République Démocratique du Congo en vue de créer ex nihilo cette banque. Une fois à Kinshasa, je rassemble autour de moi huit banquiers aux compétences et expériences complémentaires pour mettre au point ce projet ambitieux et audacieux. C’est ainsi que Rawbank naît en 2002, au terme d’une réflexion menée trois ans auparavant, mais dont l’aboutissement fut retardé par les secousses dont a souffert le pays dans les années 90 », explique-t-il fièrement.
Mais, les compétences seules de Taeymans ne sont pas au centre de sa désignation à la tête de la banque. Il y a d’abord le fait qu’il soit Belge. Les Rawji, d’origine indienne, ont vu en lui une possibilité de joindre l’image de leur banque à un Occidental qui, en plus, est originaire de l’ancienne puissance coloniale de la RDC.
Avec le temps, le Belge devient donc l’image de marque d’une banque qu’il mène d’une main de fer. Il est lui-même parmi les actionnaires de la Rawbank. Mais, le succès de la Rawbank, Taeymans ne le doit pas seulement à ses talents de banquiers. Dans les salons huppés de la Gombe, les conversations le lient aux politiques et aux hommes les plus puissants du pays, quels qu’en soient leurs camps politiques.
« Celui qui va me mettre en prison n’est pas encore né »
« Celui qui va me mettre en prison n’est pas encore né », jurait-il à tout celui qui veut l’entendre dans la capitale congolaise. Aussi, lorsque Joseph Kabila s’apprête à quitter le pouvoir en janvier 2019, Taeymans est serein. Le nouveau locataire du Palais de la nation, du moins son futur Directeur de cabinet, Vital Kamerhe, lui est intime. Quand le premier scandale dit de 15 millions USD éclate, Taeymans et sa banque sont les banquiers du scandale.
Dans un rapport qui a fini par fuiter sur internet, les Inspecteurs de l’IGF (Inspection Générale des Finances) fustigent les réticences de la banque à coopérer afin de les aider à tracer et identifier les responsables qui seraient à la base de la disparition tragique de ces fonds. Mais, les enquêtes judiciaires qui traînent en longueur finissent par éteindre les projecteurs vers la Rawbank.
Puis, vint le drame. Le 12 mars 2020, le Parquet de Matete convoque le tout-puissant Thierry Taeymans. Qui arrive aussitôt. « Il était tellement calme et sûr de lui », explique une source judiciaire. Toutefois, l’audition ne tourne pas à son avantage. La justice, qui a ouvert des enquêtes autour des projets du programme de 100 jours du président Félix Tshisekedi, le coince. Des millions de dollars manquent à l’appel, alors que les travaux ne sont pas réalisés. Les entrepreneurs, à qui les marchés ont été confiés, sont aux arrêts. Derrière ce tableau sombre, le Parquet découvre la patte de Taeymans et sa banque dans les transactions.
47 millions de dollars en liquide
En effet, Samih Jammal, patron de Samibo Congo Sarl et Husmal SARL, a reçu du Trésor public la somme de 47 millions de dollars pour la construction des logements sociaux dans le cadre du programme de 100 jours du président Tshisekedi. Cependant, cet argent est introuvable dans le circuit bancaire de la Rawbank.
Rapidement, face à l’avocat général Sylvain Muana, Thierry Taeymans est dans les cordes. On lui reproche des faits incroyables. Le paiement en liquide de ces 47 millions de dollars et toute une série de violations des lois bancaires en RDC. L’officier de justice, estomaqué, prend alors la peine de lui lancer : « Chez vous en Belgique, une banque peut-elle sortir même 100.000 dollars de cette manière ? ».
« la Belgique est un pays organisé », aurait alors rétorqué Taeymans, irritant ses interrogateurs. La décision tombe. Le Parquet le place sous mandat d’arrêt provisoire. Le même soir, l’homme est transféré à la prison centrale de Makala.
La chute
Le 20 mars, Thierrey Taeymans est libre. Mais la justice congolaise n’y va pas par le dos de la cuillère. Selon des informations de POLITICO.CD, la libération de Thierry Taeymans s’est faite dans des conditions strictes. Outre le paiement d’une caution de 10.000 dollars américains, il s’est notamment engagé à coopérer avec la justice dans le dossier concernant l’homme d’affaires libanais, Jammal Samih.
Ainsi, selon deux sources judiciaires proches du dossier, le Directeur général de la Rawbank s’est engagé, au nom de sa banque, à rembourser au Trésor public la somme de 47 millions USD. En outre, la Rawbank devra rembourser au Trésor public l’argent perçu par le Libanais Jammal « si les travaux ne sont pas achevés par son client ». Allusion faite aux travaux exécutés par le Libanais dans le cadre du projet de 100 jours du président Félix Tshisekedi. À sa libération, Thierry Taeymans s’offre un bain de foule trompeur au siège de la banque à Kinshasa. Mais, son sort est déjà scellé.
POLITICO.CD annonce en exclusivité son limogeage. Mustapha Rawji prend les rênes de la banque familiale. Dans un communiqué adressé à ses clients et partenaires, la Rawbank confirme, de son côté, le départ de son DG, affirmant cependant que ce dernier a « sollicité un repos pour raison de convenance personnelle”.
Une sortie en douceur.
Le prince des finances congolaises chute. Mais, la Rawbank est trempée jusqu’au cou dans cette saga judiciaire qui a vu Vital Kamerhe rejoindre les autres détenus à Makala. Alors que l’affaire continue et dévoile de plus en plus ses secrets. « Le Parquet a pu établir des faits incroyables tant de violations des procédures bancaires que de marchés publics. Taeymans et Kamerhe ont agi, avec leurs complices, en totale violation des lois », explique un juge du Parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa/Matete.