Sculpteur de renommée internationale, après son exposition au Musée de Chaillot à Paris à l’occasion du 70ème anniversaire de la charte de droits de l’homme, Freddy Tsimba prépare une exposition au Musée de Tervuren en 2021. Il s’entretient avec la rédaction de E-Journal Kinshasa sur ses projets.
On vient de vous trouvez en train de travailler en pleine période de confinement, quels sont vos matériels de prédilection pour réaliser toutes ces œuvres ?
Je travaille avec les matériels de récupération comme des machettes, des pistons de moteurs de véhicules, des cuillères, des douilles de balles, des bouchons écrasés par des roues de véhicules, des clés, des attrape-souris, des pelles, etc. Mais tous ces matériels ont un ou un double sens et j’essaie de leur donner une vie et de réveiller les rêves, les songes, le désespoir qui bouillonnent dans ces histoires-là.
Apparemment, c’est la révolte ou les revendications qui caractérisent vos œuvres ?
Je vis dans une société où je suis un grand observateur de tout qui se passe et je suis toujours à l’affut des informations ; en plus de cela, je voyage beaucoup à travers le monde. Dans ma démarche, j’essaie de donner un sens à ces éléments-là et non seulement les juxtaposer mais démontrer comment ils sont imbibés d’une vie antérieure en relatant des scènes de vie. Lorsqu’on parle d’une douille, on doit se poser la question comment cette douille est arrivée jusqu’à Kinshasa, à Ituri ou au Kongo central ? Ce sont des questions que je me pose le plus souvent et de fois, je n’ai pas de réponses. Comment une cuillère est arrivée dans une marmite six mois ou une année et après les enfants la ramasse pour venir me la vendre ? C’est quelque chose qui a une histoire et c’est ce que je raconte à travers mes œuvres. J’ai raté ma vocation d’historien et à travers mes œuvres, j’essaie de me rattraper comme historien autodidacte.
Vous êtes assis à côté d’une série de statues, de quoi s’agit-il ?
Ce sont des statues d’une de mes collections intitulée ‘’Centre ferme vierge’’ et elle est née de mon histoire personnelle. Il y a dix ans, j’ai été arrêté à l’aéroport de Zaventem durant une semaine en prison à l’espace 127 et j’ai trouvé des femmes et des enfants arrêtés comme moi.
A mon retour au pays, j’étais tombé malade car très choqué du traitement qu’on m’avait réservé. Du coup, cela m’a donné envie de faire quelque chose et chaque année je fais quatre ou cinq statues. Je compte arriver à au moins 700 statues si le temps et les moyens vont me le permettre. L’idée est de créer autant de personnes pour montrer comment les gens sont enfermés sans avoir fait quelque chose de répréhensible et que quelqu’un a décidé de leur priver la liberté. Moi, je préconise la liberté de circulation comme le font les oiseaux car ils se posent là ils veulent et ils n’ont besoin d’aucun laissez-passer ou visa.
Je vois un véhicule fait avec des attrape-souris, ça revêt quelle signification ?
C’est une œuvre qui parle de la fragilité de la vie humaine. Quand les humains écourtent les vies de souris, eux aussi on leur tend des pièges pour leur ôter la vie par d’autres humains. L’homme se croit puissant mais en réalité il ne l’est pas car la nature est plus forte que lui. C’est le cas de Covid19 qui a mis tout le monde à genoux et la nature a pris le dessus sur l’homme. Mais l’homme est têtu et écouterait-il la nature après cette pandémie ? C’est une question fondamentale qui déterminera l’avenir du monde.
Dernièrement vous avez exposé au Théâtre Chaillot à l’occasion du 70ème anniversaire de la
Charte des droits de l’homme, comment s’est-il passé ?
C’est le fruit du travail abattu et ceux qui connaissaient mon travail et mon savoir faire ont proposé mon dossier. Je n’étais pas seul mais c’est mon dossier qui a été retenu car ils ont admiré mon travail. J’avais proposé 19 projets et celui qui a été retenu n’est pas celui que je pointais. Il fallait une œuvre emblématique et forte pour traduire le 70ème anniversaire de cette charte qui met tous les hommes au même pied d’égalité. Un de mes amis me disait si on demandait aujourd’hui aux présidents de tous les pays du monde de venir signer la charte de droits de l’homme, peu viendront car beaucoup sont ceux qui violent les droits de l’homme.
Qu’avez-vous tiré de cette exposition ?
Le fait d’exposer à quelques mètres de la plaquette célébrant la signature de cette charte est une grande reconnaissance et en plus les organisateurs avaient invité ma mère et ma grand-mère pour assister à cette cérémonie. Là c’est vraiment le top. Ca me pousse vraiment d’aller de l’avant.
Avez-vous des expositions en vue ?
Il y a une exposition commune intitulée : « Prête-moi ton rêve », une exposition itinérante qui regroupe les œuvres de 40 artistes africains de renommée internationale vivant au continent ou à l’étranger. Elle a commencé à Casablanca, après Dakar et elle est à présent à Addis Abeba et va se poursuivre à Abidjan et Antananarive.
Je participe à une autre exposition organisée par un grand collectionneur français Mattias à Cape Town, avant elle était à Paris et Rabat au Maroc.
J’ai une autre exposition à Kalmar en Suède au Musée d’arts contemporains de Yashoping. J’ai également exposé à la Biennale de Dakar, à Paris aussi.
Y a-t-il d’autres expositions en perspective ?
Je prépare une exposition en 2021 au Musée de Tervuren à Bruxelles intitulée « Mabele eleki lola na elengi ». Espérons que ce vent de corona virus ne va pas perturber la programmation. Je vais faire dialoguer mes œuvres avec les œuvres de ce musée et il y aura une confrontation entre elles. Je veux demander aux collectionneurs qui détiennent mes œuvres de me les prêter pour cette exposition. Le catalogue de ladite exposition sera écrit par l’écrivain belgo-congolais Jean Bofana.
J’ai une autre exposition à Londres au Beaux arts Gallery, une à la Biennale de Dakar et une autre à Ouagadougou à la Biennale Sow où je suis le parrain.
Un mot de la fin
Je demande qu’il y ait plus d’amour et de partage durant les durs moments que nous traversons. C’est dans de pareilles situations que les gens ont besoin des hommes de cœur pour faire sortir le monde de la crise dans laquelle il est plongé. Qu’on songe aussi aux artistes et qu’on vienne à leur secours car ils vivent maintenant comme des chiens errants. On ne connait pas notre sort après cette pandémie car les dégâts risquent d’être énormes. L’arbre Congo appartient à nous tous et on n’acceptera pas qu’un groupe de gens s’en accapare. Je souhaite que demain tout aille mieux pour le triomphe de la culture car je crois à la culture et la culture a été toujours à côté de l’homme.
Propos recueillis par Herman BANGI BAYO
ART | Centres fermés, rêves ouverts.
Cette installation a été réalisée pendant la résidence de Freddy Tsimba au musée en 2016. Des matériaux récupérés sur le chantier lors de la rénovation forment la structure de ces personnages. Cette installation fait partie d’un ensemble qui – au final – compterait 99 personnages. Depuis des années déjà, F. Tsimba réalise ces personnages postés le long d’un mur…
subissant un interrogatoire.
Il a commencé cette série suite à une expérience personnelle dans un centre fermé en Belgique. Les personnages n’ont pas de tête, ils sont anonymes, universels, hommage rendu aux millions d’hommes et de femmes interrogés, aux réfugiés refoulés. Ils prennent place et vie dans différents lieux, à différents moments et se répondent, comme une longue chaîne.
Le travail de Tsimba dépasse les frontières de la RDC. Dans la série des huit personnages créés pour Tervuren, des femmes et des enfants, plus grands que nature, interrogent la violence à travers le temps.
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