Félix Tshisekedi, arrivé au pouvoir par la volonté de Joseph Kabila, voulait envoyer un message fort à la population congolaise par son “Programme des 100 jours”. Montrer que les choses allaient bouger, qu’un nouveau pouvoir était réellement en place.
Souci, son futur gouvernement, composé d’un savant dosage avec son partenaire, la plateforme politique du Front Commun pour le Congo (FCC) mise en place par le bon vouloir de Joseph Kabila, tarde à se mettre en place.
Qu’importe, il veut imposer sa griffe rapidement et lance, le 2 mars 2019, ces travaux, en y intégrant nombre de chantiers déjà lancés sous le règne de son prédécesseur, parfois même sous Mobutu. Tout se fait sans budget bien arrêté. “Ils sont nouveaux au pouvoir. Tshisekedi et sa garde n’ont aucune expérience de ce niveau de pouvoir”, lançait en avril 2019, un ancien ministre du premier gouvernement de l’ère Kabila.
Les annonces se succèdent. Les travaux doivent être réalisés un peu partout dans ce pays immense, le second plus grand État du continent africain.
Rapidement des voix s’élèvent pour faire remarquer que beaucoup de ces travaux sont engagés sans appels d’offres, en dehors de tout cadre légal et, souvent, à des prix bien trop élevés.
Le 8 janvier dernier, quelques jours avant le premier anniversaire de l’installation de Félix Tshisekedi à la tête de l’État congolais, une ONG congolaise, l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP), chiffre le programme des 100 jours initié par la présidence congolaise à 2,5 milliards de dollars ! La présidence martèle son chiffre de 497 millions de dollars (le président avait annoncé 488 millions de dollars au lancement du programme), soit malgré tout plus de 8 % du budget total pour l’exercice 2019, selon les chiffres parus la semaine dernière dans une étude réalisée par le Groupe d’Études sur le Congo (GEC), intitulée “Opacité, quand tu nous tiens”.
L’ODEP pointe aussi les “nombreux contrats passés de gré à gré”. Elle en annonce 21 ! La présidence explique alors que le programme des 100 jours contient au moins 400 projets et selon elle, seuls 10 % de ces marchés ont été passés de gré à gré. L’ONG était donc en deça de la vérité. Dans la foulée, la présidence ajoute que près de 90 % des projets sont des initiatives qui étaient déjà engagées avant l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi…
Routes, santés, logements sociaux
Le Programme des 100 jours cible essentiellement des projets pour la rénovation des routes, la construction de logements sociaux et des projets dans le domaine de la santé. “Il est en grande partie financé par le gouvernement congolais à travers le Trésor public (206 millions de dollars), le Fonds de promotion de l’industrie (70 millions) et le Fonds national d’entretien routier (23 millions). Mais ce programme n’a cessé de croître au fil des mois au point de se substituer à la loi des finances 2019 et permettre ainsi au nouveau régime de fonctionner, en l’absence de collectif budgétaire et de contrôle parlementaire”, poursuit le rapport du GEC.
Des millions de dollars sont sortis des caisses du trésor public. Impossible disent les ONG que les ministres des Finances et du Budget et même la Banque centrale n’aient pas été au courant.
Un opérateur économique américain, David Blattner, dont la famille est installée de longue date en RDC, à la tête se la société Safricas sa, a été brièvement arrêté dans le dossier des “sauts-de-mouton”, un projet appelé à décongestionner la circulation à Kinshasa. Neuf sauts-de-mouton sont prévus (“Ce sont de simples petits ponts, rien à voir avec le viaduc de Beez”, grogne un Kinois qui constate qu’un seul de ces chantiers est terminé), ils devraient finalement être boucls en juin prochain selon les termes des derniers accords signés notament entre le gouvernement congolais et la scoéiété de David Blattner. Le directeur-général de la Rawbank, la principale banque congolaise, le Belge Thierry Taeymans, a aussi placé sous les verrous avant d’être libéré sous caution. Il est soupçonné d’avoir facilité le transfert de certains montants sortis des caisses de l’État dans le cadre du programme des 100 jours vers des comptes bancaires situés dans des paradis fiscaux. Taeymans a retrouvé la liberté mais perdu son poste de DG.
D’autres interpellations ont eu lieu, comme celles de Fulgence Baramos, le patron du Foner pour le détournement présumé de fonds publics dans le cadre de travaux de réfection des routes dans les Kivu et les Kasaï. On parle de 20 millions détournés.
D’autres ont aussi épinglé la légèreté avec laquelle les contrats ont été passés avec des sociétés qui venaient à peine de naître, qui ne disposaient donc d’aucune expérience.
L’ODEP, de son côté, a aussi souligné des surfacturations pour des travaux de rénovations d’établissements scolaires.
Tshisekedi avait fait de la lutte contre la corruption et la dilapidation des fonds de l’État son cheval de bataille notamment pour aller quémander des fonds devant les partenaires internationaux. Les faits sont têtus. La corruption continue de régner en RDC et Vital Kamerhe, seul responsable politique sur les bancs des accusés lors de l’ouverture de son procès ce lundi 11 mai, cela pose question. Des ministres savaient. Des directeurs de services publics savaient. Des opérateurs économiques se sont servis. Quid du rôle et de la responsabilité de la présidence et de son premier cercle ? Pouvait-elle vraiment tout ignorer ?
Le procès Kamerhe, qui devrait s’ouvrir ce lundi et qui pourrait être diffusé en direct à la télévision, sera-t-il le premier d’une longue série ou un coup d’éclat, plus politique que judiciaire, sans lendemain ?
Hubert Leclercq pour afrique.lalibre.be