par France Inter publié le 14 mai 2020 à 18h32
Au micro de Claire Servajean, dans « Le Téléphone Sonne », l’immunologiste Patrice Debré rappelle combien il est essentiel de réinterroger les enjeux de la pandémie du coronavirus au regard de toutes celles qui nous ont précédés dans l’histoire pour mieux prendre conscience des dangers pandémiques de demain.
Comment les épidémies/pandémies disparaissent-elles ?
Patrice Debré commence par revenir sur les différents mécanismes qui ont contribué à faire disparaître naturellement les multiples pandémies dans l’histoire :
Une épidémie risque toujours de ressurgir
« Comme ça a été le cas avec la première épidémie du coronavirus au début du XXIe siècle, en 2003, avec le SRAS où l’épidémie s’est arrêtée. Elle avait touché 8 000 personnes et fait 800 morts dans le monde. Si cette épidémie-là, comme tant d’autres, s’est arrêtée, cela peut s’expliquer par trois phénomènes :
La modification du virus lui-même à l’époque, au moment où le virus s’est adapté en partant de la chauve-souris, passant de la civette, puis à l’homme. Il a bougé et a muté. S’adaptant d’abord à l’homme, il a commencé à perdre ensuite une certaine vigueur dans sa réplication, sa mutation, dans sa capacité d’infection.
La distanciation qui avait déjà été relativement préconisée à l’époque, même s’il s’agissait uniquement de confiner les gens infectés par le virus. Une mesure qui s’était déjà avérée efficace à l’époque.
Dans un certain nombre d’autres infections, comme cela pourrait d’ailleurs se produire avec le coronavirus, il y a eu l’acquisition progressive d’une immunité qui, par conséquent, empêche le virus de prospérer quand elle devient suffisamment importante. L’immunité acquise vis-à-vis d’un virus empêche le virus de circuler à nouveau ».
L’homme a rencontré des pandémies tout au long de son existence
L’immunologiste rend compte de l’étrange inhérence qui s’est toujours établie entre l’homme et le développement des maladies infectieuses :
Patrice Debré : « Les épidémies existent depuis que l’homme a rencontré les microbes durant la préhistoire lorsqu’il apprenait seulement à domestiquer les premiers animaux, puisque une bonne partie des épidémies – au moins les deux tiers d’entre elles – viennent de la faune et particulièrement de la faune sauvage.
Par exemple, quand l’homme a domestiqué le cheval, il a connu le tétanos, avec le poulet, c’est la grippe, et il a connu la tuberculose avec le bœuf. Les rencontres avec ces animaux dans l’ancien monde se faisaient différemment, c’est pourquoi les épidémies qui sévissaient à cette époque-là n’étaient en revanche absolument pas les mêmes.
Il y a aussi la grande époque des pestes qui ont d’ailleurs été des fléaux terrifiants mais qui ont caché très probablement sous ce nom-là, différentes formes d’épidémies redoutables.
Des médecins, des officiers de l’armée et des journalistes en protection devant un hôpital où sont traités des malades atteints de la grippe espagnole, 1918
Peste, choléra, grippe espagnole… Avant le Covid-19, ces épidémies qui ont traversé l’histoire
Il continuera toujours à avoir des épidémies, tant que l’homme et les microbes continueront à cohabiter.
Celle du coronavirus (Covid-19) va ressembler à un certain nombre d’autres qui ont sévi à travers l’histoire. Au premier rang desquelles les premières épidémies de grippe. En particulier, la grippe espagnole de la fin de la Première guerre mondiale (1918) causant un nombre absolument considérable de morts (près de 50 millions dans le monde). On a connu en 1958, la grippe asiatique (H2N2) causant près d’un million de morts puis celle de 1968-1970 appelée « grippe de Hong Kong » ou H3N2. Plus proches de nous, ce fut, en 2009, la grippe A H1N1.
Autant d’épidémies et de pandémies qui ont jalonné l’histoire et causant malheureusement un nombre de personnes atteintes et de morts considérable à chaque fois. Sans compter les conséquences très importantes au niveau des populations. Des revers économiques et sociaux qui resurgissent immédiatement et qui font de ces maladies infectieuses des fléaux épouvantables pour l’humanité ».
Les mesures de prévention prises par le passé
Comment nos ainés firent-ils pour enrayer ces pandémies ? Est-ce qu’il y a eu dans les époques lointaines, des mesures pour limiter les mouvements de population, des fermetures de frontières comme aujourd’hui ? Si on prend la peste et les mesures de quarantaine prises autrefois, l’histoire devient alors soudainement révélatrice :
Patrice Debré : « Les premières mesures qui ont été prises étaient d’ores et déjà des mesures d’isolement, notamment vers la fin du XIVe siècle, en particulier à Ragusa (Dubrovnik en Croatie). Par la suite, cette vision politique a été reprise au début du XVe siècle par Venise qui avait étendu l’isolement à 40 jours. C’est Venise qui a initialement pris cette idée d’une mise en quarantaine systématisée. À l’époque, on isolait les individus dans la pointe de Venise, en particulier dans l’église de Santa Maria dit de « Nazareth ».
Par la suite, toutes les villes du pourtour méditerranéen, essentiellement les ports, qui étaient les premiers menacés, Gênes, Pise, Naples, Marseille… ont été progressivement l’objet de cette politique de prévention médiévale. Et c’est un peu plus tard que ce système s’étend aux terres intérieures. Pendant très longtemps, cela a été une politique menée par chaque cité. Chaque grande ville disposait de sa politique d’isolement avec un barrage souvent militaire pour empêcher les gens de rentrer dans la ville. Les édiles dressèrent une liste des lieux infectés où il ne fallait surtout pas se rendre, des lieux rendus interdis.
Plus récemment encore, si on avance dans le temps, au moment des dernières pestes qui ont essaimé à la France, ce sont des murailles qui ont été construites. On se souvient des murailles de la Provence qui ont essayé de limiter un des principaux risques épidémiques qui était parti de Marseille.
Tout cela a commencé à se formaliser politiquement ville par ville. En France, il faut attendre le règne de l’absolutisme royal de Louis XIV, en particulier conseillé par les idées de Colbert, le grand secrétaire d’État de la Maison du roi, pour y étendre ces mesures de manière plus coordonnée avec au fond, un pouvoir plus centralisateur et responsable sur les mesures de quarantaine ».
Apprendre à se sensibiliser au phénomène pandémique
Le spécialiste explique en quoi une trop grande « méconnaissance publique » des enjeux de telles pandémies amenées à se répéter dans l’histoire et dans le futur, peut accroitre la vulnérabilité de la population face à l’importance du danger qu’elles suggèrent :
Patrice Debré : « Nous avons l’oubli facile et c’est un des devoirs des scientifiques de tenter de continuer à expliquer aux gens que l’émergence d’une épidémie est toujours imprévisible et qu’il faut sans cesse s’y préparer. Comprendre ce qu’est un microbe, comment il passe d’un réservoir animal à l’homme, comment il se propage, comment s’établit une immunité, quels sont les mécanismes de défense biologique de notre propre corps…
Les épidémies sont malheureusement imprévisibles, il faut, en temps de paix, en temps de période non épidémique, apprendre à les connaître et les prévenir.
La compréhension des dangers, des enjeux par l’opinion publique peut faire en sorte de mieux supporter à l’avenir les prochaines épidémies et pandémies potentielles.
Des germes que nous croyons pouvoir traiter et maitriser aujourd’hui le seront encore plus difficilement demain.
Ces maux-là, il faut les connaître, il faut les prévoir, il faut lutter contre eux dans la mesure du possible ».