Notre interlocuteur retrace le processus qui a conduit au dépôt du dossier de la candidature de la rumba congolaise au patrimoine culturel mondial et affiche la satisfaction d’une mission accomplie.
- Vous êtes président de la Commission nationale/Rumba pour la promotion nationale et internationale de cette musique congolaise moderne. En quoi cela consiste ?
J’ai l’honneur et le privilège d’avoir été nommé président par arrêté ministériel, et je suis reconnaissant au gouvernement, via les ministres successifs de la Culture, Mme Madiya et Mr Lukundji. Mon rôle a consisté, en partenariat avec mon collègue Mfumu Fylla de Brazzaville, à monter, en collaboration avec d’autres experts compétents, le dossier technique et scientifique de candidature de la rumba congolaise auprès de l’Unesco-Paris. Et d’en faire, au besoin, un lobbying énergique, avec l’appui des autorités politiques, diplomatiques ainsi que les responsables de la société civile. Je me dois de m’arrêter un moment pour rendre un hommage ému à mon collègue, frère et confrère Mfumu décédé récemment. Il a été de tous les fronts culturels, un vrai avocat de la promotion du patrimoine culturel du « grand Congo de Lumumba », comme il aimait à répéter.
- Pourquoi cette inscription de la Rumba congolaise ?
Parmi les éléments d’excellence, et qui ont marqué l’espace et le temps à l’échelle nationale, africaine et mondiale, il y a la rumba congolaise. C’est ce que je résume en deux mots : l’odyssée et l’épopée. L’odyssée, c’est-à- dire la trajectoire fantastique de cette musique depuis la traite négrière au 16e siècle jusqu’à sa renaissance lors de la colonisation au 19e siècle, en passant par une série d’osmoses en Amérique latine puis dans la diaspora. Odyssée mais aussi épopée, autrement dit toute cette verve poétique, politique, satirique, narrative telle qu’exprimée dans notre musique moderne; mais aussi ses corollaires sulfureux que sont la sape, les associations d’entraide et d’ »ambiance », etc. Bref une ambiance de jouissance certes, mais aussi de résistance créative, de résilience énergétique et d’existence passionnée. Sans compter que la Rumba congolaise a été un vecteur de cohésion sociale et de dialogue interculturel.
- En quoi se justifie la candidature commune avec le Congo-Brazzaville ?
La genèse de la musique congolaise moderne, en particulier de la Rumba, est intimement associée à notre histoire commune avec le Congo-Brazza. Lors de la renaissance de cette musique à l’époque coloniale, le pont sur les deux rives, pour ainsi dire, était une réalité métaphorique, poétique, et créative. Les premières maisons d’édition ont alors associé étroitement les artistes talentueux des deux rives. Et nous continuons jusqu’à présent à perpétuer, essentiellement par l’art et la littérature, la construction idéalisée de ce « pont sur le Congo ».
- Où en est-on avec l’opération de candidature de la rumba congolaise sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité ?
Je remercie les deux gouvernements des deux Congo, et en particulier les deux ministres de la Culture, Messieurs Lukundji de la RDC et Moyongo du Congo-Brazza, pour avoir signé ensemble la candidature.
Nous avons ainsi pu travailler d’arrache-pied à corser le dossier de candidature, et à l’envoyer à temps, c’est-à-dire avant le 30 mars 2020, en direction de l’Unesco-Paris. Nous croisons les doigts jusqu’à 2021 pour la proclamation finale des résultats.
- Et après cette reconnaissance mondiale de la rumba congolaise ?
Après l’inscription au patrimoine culturel mondial, la rumba congolaise aura confirmé son expansion fulgurante et diversifiée. Cela permet de nous contraindre (pouvoirs publics et privés, formateurs, entrepreneurs, mélomanes…) grâce à l’appui d’autres partenaires nationaux et internationaux, de rechercher et de trouver des pistes pour la promotion des industries créatives et pour la protection des œuvres et des créateurs. N’est ce pas également une façon de lutter contre la pauvreté et de promouvoir le développement durable? Sans compter le devoir de codifier une musique qui reste encore orale. Bref nous allons pouvoir faire l’épreuve du professionnalisme et de l’innovation, notamment en termes de renfoncement des capacités techniques et artistiques des jeunes talents et des jeunes entrepreneurs déjà si actifs sur le terrain, mais peu encadrés sauf à l’informel.
- Etes-vous optimiste pour la suite?
Optimiste, oui, mais d’un optimisme mesuré. Je voudrais rappeler les critères exigés pour l’identification d’un élément de référence sur le plan du patrimoine culturel immatériel : être un élément qui a une histoire et un impact dans la communauté, obtenir l’adhésion populaire, être objet d’attention de la communauté scientifique et des opérateurs artistes, avoir le soutien des gouvernements concernés, produire des inventaires justifiant la place de l’élément comme patrimoine culturel immatériel de poids. Nous avons tenté jusqu’au bout d’être conformes à ces exigences. .. Mais un jury reste souverain, n’est-ce pas ! Merci beaucoup.
Propos recueillis par Herman Bangi Bayo