En août 1970, Bavon Marie-Marie, le petit frère de Franco, décède dans des circonstances tragiques. En guise d’épitaphe, le Grand Maître lui dédie une de ses plus belles et chansons, « Kinsiona » (le chagrin).
Bavon Marie-Marie Siongo a traversé l’histoire de la musique congolaise comme un feu-follet. Vingt-six ans pour tout faire. Naître, grandir, se faire un nom propre malgré l’ombre de son célèbre grand frère, mourir et, à titre posthume, devenir une icône musicale parmi celles qui ont illuminé le ciel des années 70. Son histoire laisse un goût amer, un relent d’inachevé et une impression de gâchis… Il y a tout juste cinquante ans donc, la vie de ce talentueux garçon s’arrêtait net.
« Je suis en train de pleurer mon petit frère
Je suis en train de pleurer Marie-Marie
Ils sont en réunion en train de m’attendre
Quelle grande tristesse »
Franco
Cette vie de comète avait commencé à Kinshasa le 27 mai 1944. Après le décès de son père, il avait été élevé seul par sa mère au quartier Far West (actuelle commune de Ngiri-Ngiri). Son grand frère François voulant lui éviter les affres de la vie de musicien, considérés comme des ratés, il l’envoya étudier dans le Bas-Congo, actuelle province du Kongo central. Mais bien plus que les cahiers et les livres, c’est la guitare qui sera le principal compagnon du jeune homme, au détriment de ses études. Dénoncé à Franco par un de ses cousins, il est ramené manu-militari à Kinshasa où son frère le soumet à un interrogatoire en règle sur ce qu’il va faire de sa vie. Sa réponse : jouer de la guitare, qu’il a appris à maîtriser en parfait autodidacte. Du coup, lorsque son autoritaire de grand frère le tance en public et exige qu’il passe un test pour prouver ce dont il était capable, il relève le défi… cela se passe au Congo Bar, sous la supervision experte de Simaro Lutumba, second de Franco et chef d’orchestre de l’OK Jazz. Sa carrière musicale « officielle » peut commencer. Mais pas dans l’orchestre de son frère, qui l’oriente vers le Negro Succès Bana 15 ans de Leon Bombolo Bolhen, un ancien de l’Ok Jazz.
Et vlan ! La réussite est au rendez-vous. De 1965 à 1968, Bavon Marie-Marie caracole au firmament des hit-parades : « Maseke ya Meme », « Lucie Tozongana », « Nellie na place na nga », que des tubes ! Le succès aidant, monsieur devient la coqueluche des filles. Mais son cœur ne bat que pour Marie José Simplice, qu’il aime passionnément, au point d’en devenir possessif et jaloux.
Un matin, il a une violente chamaillerie avec elle : il la soupçonne d’avoir un amant. Qui suspecte-t-il ? Youlou Mabiala, ou bien Ndombe Opetum (deux membres de l’OK Jazz) ? Ou encore le footballeur Jean Kembo (un membre de l’équipe nationale, « les léopards du Zaïre ») ? Difficile à deviner… et personne ne le saura. Toujours est-il qu’ivre au volant de sa voiture, il s’encastre dans un véhicule en panne et meurt sur le coup. Nous sommes le 5 août 1970.
« Ils sont en réunion en train de m’attendre
(pendant que je suis endeuillé, ils se mettent en réunion pour comploter contre moi)
Quelle grande tristesse !
Quelle tristesse, où iraient-ils chercher du soutien ?
À qui le diraient-ils ? »
Franco
La rumeur accusera Franco de l’avoir sacrifié (nous sommes à Kinshasa, et comme ailleurs en Afrique, les accusations de sorcellerie sont promptes à surgir, surtout lorsqu’on a la stature de Luambo). Le grand frère lui rendra un vibrant hommage comme seuls les chanteurs savent le faire, en musique. « Kinsiona », un tube mélancolique chanté en kikongo, est ainsi né comme une épitaphe pour clôturer l’épopée musicale de cette trop courte vie.
Les paroles de la chanson Kinsiona en kikongo (kintandu) et leur traduction française
Munu muntu n’leki amo ta dil
Je suis en train de pleurer mon petit frère
Bavon Marie ta ndile
Je suis en train de pleurer (Bavon) Marie-Marie
Bevwanda mu fongo mono kwani batabinge
Mono kuamu bata bonge
Ils sont en réunion en train de m’attendre
Pendant que je suis endeuillé, ils se mettent en réunion pour comploter contre moi
Eh kinsiona
Quelle grande tristesse, mélancolie, déprime
Eh kinsiona,belomba lusadisu yaye kue?Keti na batelamoe ?
Quelle tristesse, où iraient-ils* chercher du soutien ?
À qui le diraient-ils ?
He dio kanda kala ye ngangu
Vous la famille, soyez prudent, soyez alertes
Mbadi tata,kadi mama,kadi ngwa kansi,kadi nketo
Sans père, ni mère, ni oncle, ni femme
Belomba lusadisu yaya kwe banani batelamo
À qui iraient-ils demander de l’aide
À qui pourraient-ils se confier ?
Kinzonzi ki bambuta,kala ye makutu,kala ye ngangu
Pendant l’assemblée des vieux, ouvre tes oreilles et sois sage
Bubagoga bawu, usiama ukola
Lorsqu’ils parlent c’est pour que tu grandisse et mûrisse
Djo gata mambu manunini
Il y a trop de problèmes dans ce village ; Qui pourrait y survivre ?
Banani basala mo ?
Qui pourrait y survivre ?
- « ils » désigne la famille proche du défunt, par opposition à la famille élargie et au village tout entier qui prennent part aux palabres de deuil. Si le défunt est orphelin, quel aîné pourra prendre la défense de ses proches ?
Par Bona MASANU