Je n’ai pas connu la colonisation, mais j’ai vécu dans son décor des années soixante. Kinshasa de mon enfance vivait sous l’ombre rafraîchissante des constructions belges et des arbres fruitiers : manguiers, badamiers, safoutiers. Tout récemment, les Chinois ont refait les grandes artères de la capitale en oubliant les arbres et les fleurs. Adieux les magnifiques flamboyants aux fleurs rouges. Kin-la-Belle, comment faudrait-il t’appeler aujourd’hui ?
Le centre-ville de mon enfance avait encore tout son lustre d’antan. Kinshasa a grandi. Sa population a décuplé. La cité « indigène » a avalé le centre-ville en une bouchée. Les Belges sont partis en emportant avec eux tous leurs secrets sur la gestion des déchets et la gestion du bruit. Dans l’arrière-pays la nature a repris ses droits.
Bruxelles, l’autre ville de mon enfance, n’est plus la même. J’avais quatre ans quand j’ai mangé ma première saucisse, dix ans quand j’ai pris mon premier métro, à son inauguration. J’habite près de la station Pétillon. La gare du midi s’est modernisée. On ne se sent plus la bonne odeur du chocolat des usines Côte d’Or. La ville devient de plus en plus écologique. Et le Covid-19 m’a appris à prendre le vélo sur le boulevard Général Jacques.
Je suis un Congolais que les Kinois appelaient autrefois « Belgicain ». Un des témoins de l’évolution contrastée de mes deux villes, de mes deux pays, de mes deux communautés, de mes deux mentalités. J’ai deux villes au cœur. Cela ne fait pas de moi un monstre, mais un citoyen du monde. Pour crier mon amour « bi-urbain », je ne sais pas si je dois aller à l’Echangeur de Limité à côté de la statue de Lumumba ou me rendre à la Place Royale près du célèbre Godefroid de Bouillon.
Le plus simple serait de m’inviter au groupe chargé d’épauler la réflexion des parlementaires sur le passé colonial. A Solvay, on m’a appris à réfléchir, j’ai quelques bonnes idées. Vous verrez.
Alain Bomboko