Je sors de la parcelle, en route vers le ministère, vers mon cher Ministre d’Etat des Affaires Statistiques et Tactiques. Et voilà qu’à peine j’ai mis les pieds dehors que la pluie ruisselle, puis sans préavis accélère son rythme. Je décide de changer de direction, et décrète unilatéralement mon congé. A Kinshasa, la tombée de la pluie est inscrite à l’Article 15. Bis du Code du travail : c’est automatiquement congé. Je n’ai même pas besoin de prévenir. C’est la règle. Pour ne pas m’ennuyer, je m’empresse de rejoindre mon ami le gérant de notre nganda-bar de notre quartier d’en-bas. La pluie devient franchement menaçante, avec des gouttes de plus en plus grosses et cognantes. Et puis, la tornade ; et puis le déluge, sans aucune transition. Et puis et puis, des eaux puissantes, sorties de leur lit, sorties des caniveaux encombrés . Et mettant leurs forces à trouver des lits d’emprunt, n’importe où, n’importe comment…
N’importe où ? C’est Nganda-bar, le lit de rêve. En un rien temps, la piste de danse du bar s’est transformée en lac, puis en tsunami. D’ailleurs tout le quartier est sous eaux, y compris chez le pasteur-de-réveil, le voisin immédiat: des eaux polluées, nauséabondes qui, là-bas dans l’église sous les tôles chiffonnées , ont profané le sanctuaire. Conséquence : nous nous retrouvons tous sur le comptoir : le gérant, le pasteur, le vice-gérant, le vice-pasteur et moi. Le pasteur s’en remet « au Dieu de miséricorde, au Dieu de l’Arche de Noé ». Toujours en verve, le pasteur nous explique, à nous pauvres mécréants, que l’Arche de Noé a été, pendant le Déluge, l’abri de la dernière providence pour les vrais dévots, qui ont foi en Dieu Là-Haut. Qu’il était temps, d’après lui, de nous convertir, comme Noé, pour mériter l’Arche du Salut. Or, la situation devenait intenable, avec l’ombre de la mort autour de nous. J’ai pris mon téléphone, et j’ai appelé au secours : au secours mon patron le Ministre d’Etat ! Silence au bout du fil. Téléphone au chef du quartier, silence. Téléphone au bourgmestre de notre commune, silence. Alors, j’ai pris une décision grave ; j’ai sauté dans l’eau grouillante, et tout habillé ; et j’ai nagé, nagé jusqu’à la rue quelque peu dégagée. Le temps de stopper une moto-taxi moitié amphibie, moitié ambulance de fortune, me voilà chez le chef du quartier en vue de réclamer du secours. Catastrophe. Du bord du ravin où j’observais la catastrophe, j’ai vu la bicoque-bureau du quartier dévaler la colline boueuse vers la vallée. De là, du monticule du bout de la colline, on entendait, par mégaphone, le chef du quartier réfugié sur un des étages d’un immeuble en chantier, et vociférant à tue-tête le nom et la prière de la sainte Vierge Marie, Mère des naufragés.
Inutile donc d’insister. J’ai couru ensuite chez le bourgmestre de notre commune, notre chef hiérarchique logé sur les hauteurs. Yélélé ! Yélélé ! De l’abri où je me suis aventuré en quittant la moto-taxi, c’est-à-dire une branche de manguier, j’ai assisté à un spectacle insolite à la Tarzan : le bourgmestre, certainement surpris par l’orage en pleine inspection des dégâts, avait pu, on ne sait comment, « cobriquer vaille que vaille », comme disent les Kinois, une sorte de radeau de bambous, avec en plus une pelle transformée en rame pour manœuvrer l’embarcation de fortune.
… Sans crier gare, comme elle a commencé, la pluie s’est soudain adoucie, me permettant de descendre du manguier ; et en aller-retour, de rentrer constater la catastrophe subie par notre nganda-bar. Tout y était sens dessus-dessous, y compris le gérant lui-même, y compris le pasteur lui-même, tous en larmes, l’un dans les bras de l’autre…
Le gérant, très affecté a eu cette phrase pleine de sagesse : « J’avais, disait-il, cherché longtemps une option et un parti politique, à l’approche des élections. J’ai trouvé : Pilote, mon ami, nous allons créer notre propre parti… écologique. Sa dénomination ? « Arche de Noé ». Sa priorité ? Guerre sans merci contre les intempéries, contre les négligences de la gestion humaine, et contre leurs dégâts collatéraux »…
( YOKA Lye)
11/11/2022